Современная русская культура
Par Dominus Carnufex le 10 février 2014, 01:00 - Lien permanent
La Russie, c'est loin. Et comme tout ce qui est loin, on la connaît surtout par ce que nous en disent les médias, quand ils veulent bien parler de Poutine mais pas trop de la Tchétchénie, ou plus encore par l'image qui nous en arrive d'Internet. Aussi, en Occident, quand on pense « Russie », on pense en général à ce genre de vidéos en oubliant opportunément que ces gens sont l'équivalent local de Miss Amandine du 38. Alors pour redorer un peu le blason de ce pays qui n'a pas mérité tout ce qui lui arrive — mais un peu quand même, ils ont quand même produit Trololo — je vais vous faire découvrir un peu la culture russe contemporaine. Il ne sera donc pas question d'Asimov, de Rostropovitch ou d'Eisenstein et encore moins de Tchaïkovski ou de Gogol mais uniquement d'œuvres produites après l'effondrement de l'URSS.
Кино
Le cinéma russe est surtout connu pour ses films pornographiques, qui mettent en scène des jeunes filles toutes parfaitement majeures, on vous jure, même si elles ont l'air d'avoir quatorze ans, et capables de prouesses invraisemblables avec leur trou de... Ah. On me glisse à l'oreillette que ce téladiaire est censé être plus ou moins tout public. Bon. Alors disons qu'en ce qui concerne le cinéma classique, la production russe a du mal à pénétrer le marché occidental. Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit, encore ?! Bref. Trouver un film russe en France, surtout doublé ou au minimum sous-titré, tient du chemin de croix. De manière générale, pour qu'un tel film arrive chez nous, il faut qu'il ait été coproduit par un studio européen de l'Ouest. Je vais vous en présenter trois, que j'ai classés du plus regardable au plus indescriptible.
Mongol de Sergueï Bodrov
Ce film se veut un récit de la vie de Temüdjin, plus connu sous son titre classieux de Genghis Khan. Le scénario suit globalement la réalité historique mais se permet des écarts quand ça l'arrange : du simple détail — Yesügei est déjà mort quand Temüdjin et Djamuqa font connaissance — à l'invraisemblance caractérisée — le dieu Tengri qui fait un miracle. Les acteurs sont plus que limites niveau qualité de jeu, en particulier les enfants, mais on mettra ça sur le compte du choix de la réalisation de prendre presque exclusivement des Mongols et des Kazakhs donc des amateurs. En revanche, aucune pitié pour les dialogues dont la nullité crasse et la vacuité intersidérale frôlent parfois l'indécence. Voyez par vous-mêmes.
Temüdjin et sa femme Börte viennent de se retrouver. Temüdjin lui court après à travers la lande fleurie, tandis que tous deux rient gaiement. Finalement Börte s'arrête et Temüdjin la chope par la taille.
— Temüdjin : « Je t'ai attrapée ! »
— Börte : « Parce que je t'ai laissé faire... »
Mesdames et Messieurs, on applaudit tant de talent, je vous en prie ! Et pourtant, c'est un film que j'aime beaucoup et que je regarde régulièrement. Car ce film, c'est avant tout une ambiance. Les phases de dialogue sont entrecoupées de scènes de bataille spectaculaires ou de longs moments contemplatifs, le tout sur fond de musique enivrante. Je suppose qu'il faut avoir un certain état d'esprit pour apprécier mais si vous accrochez, vous êtes partis pour deux heures de plaisir.
Hitler est kaput ! de Marius Waisberg
Un jour, un certain Quentin Tarantino a réalisé un film du nom de Inglorious Basterds. Ce jour-là, la sainte mère Russie a décidé qu'on ne pouvait pas laisser ces chiens d'Occidentaux impunis, qu'il fallait rétablir la gloire des armées soviétiques. Ce jour-là, Hitler est kaput ! est né. Et croyez-moi, on serait passés à côté de quelque chose ! Ce film, c'est l'histoire d'Alexandre Ossétchkine, bel espion russe ayant infiltré le cœur même de l'état-major nazi : il rencontre régulièrement le Führer en personne. Il n'est pas seul derrière les lignes ennemies car il peut compter sur le soutien de l'espion américain 50 Bundesschilling, infiltré comme DJ personnel de Hitler. Et lorsque le mal du pays vient le frapper, une porte secrète de son appartement donne directement sur une petite route au beau milieu de la cambrousse soviétique où de joyeux moujiks lui proposent à boire. Malgré tout, en ces derniers jours d'avril 1945, l'étau du cruel Müller se resserre autour de lui, aussi se résout-il à appeler du renfort. Voici ce qu'il voit tomber du ciel.

Bref, au point où j'en suis, vous aurez sans doute compris que ce film est une comédie grasse, claffie d'anachronismes et parfaitement jouissive. Ce n'est pas évident de le trouver par les canaux habituels donc je n'ai aucun scrupule à vous indiquer le film en intégrale sur Youtube.
Tsar de Pavel Lounguine
Encore un film historique. Mais cette fois, c'est Ivan le Terrible, tsar de toutes les Russies qui a les honneurs de la rampe. C'est un film intelligent. J'en veux pour preuve qu'il a été sélectionné au festival de Cannes dans la catégorie « Un certain regard ». Ainsi, si vous faites attention, vous pouvez voir dans l'orpheline qui apparaît dans les trois premiers chapitres du film une allégorie de la bonté chrétienne, qui meurt lorsque le tsar sombre définitivement dans l'injustice. Pareillement, lorsque les moines relèvent le cadavre du métropolite Philippe vers la fin du film, on ne peut manquer de reconnaître les tableaux représentant le Christ descendu de la croix. Pour le reste, c'est l'histoire d'un homme qui vacille au bord du précipice de la folie, avant d'y sombrer pour de bon : de mon point de vue, un tel intégriste est déjà au fond du trou et le film raconte comment il creuse.
Car si je devais résumer l'impression que m'a laissée le visionnage, ce serait « ce truc est complètement barré ! » Aucun intérêt historique, le film ne montre que quelques mois de la vie du tsar, zappant totalement son enfance — qui explique en grande partie sa folie future — et se permettant d'introduire des miracles, comme chez Bodrov : à croire que les Russes ne comprennent pas que l'intervention divine ne fait pas partie de la réalité historique... Et les seuls moments un tant soit peu dynamiques sont les crises d'hystérie de l'un ou l'autre personnage. Au final, on se fait monumentalement chier. Au bout de quarante minutes, on en a déjà plein le cul, je ne vous raconte pas à la fin des deux heures...
Voilà pour le cinéma et je veux que celui qui a relevé des allusions salaces dans tout le texte se dénonce. C'est pure calomnie !
Музыка
En ce qui concerne la musique, le champ est autrement plus vaste, seulement j'ai des goûts et je ne vais pas aller écouter du rap ou de la techno pour vos beaux yeux. Oui, même toi avec les gros seins mais essaye de me convaincre quand même. Donc voici trois groupes russes que j'écoute plus ou moins régulièrement.
Arkona
À l'origine du groupe Arkona, il y a Masha Arkhipova, une néo-païenne convaincue et prosélyte qui décide en 2002 de faire du métal avec un pote. Quand on écoute ce groupe, il faut donc garder à l'esprit que c'est l'équivalent pour le néo-paganisme slave des chorales de gospel pour les luthériens évangélistes. Ceci étant dit, on est tout à fait en droit de rétorquer « Rien à foutre, de toute façon, je comprends pas ce qu'ils disent ! » et on aurait bien raison. Car si on ne s'intéresse pas particulièrement au sens des paroles, Arkona est un groupe de pagan métal tout ce qu'il y a de plus sympathique. Leur chanson la plus connue est sans doute « Slavsia Rus », une ode à la mère patrie comme on n'en fait plus chez nous. Mais cette première impression pourrait être trompeuse. En effet, Masha est surtout connue pour ses prouesses vocales : à côté de sa douce voix d'alto, elle est tout à fait capable de chanter comme un black métalleux norvégien en rut, ce qui couplé à une musique plus brutale donne « Yarilo », une ode bucolique au printemps et au beau temps revenu. Je ne déconne pas, Yarilo est le dieu de la fertilité et du printemps.
Par ailleurs, spéciale dédicace à leur reprise de la chanson de Shaman intitulée « Ođđa Mailbmi ». Le seul reproche que je fasse à cette reprise, c'est que l'original est très clairement un yoik et que la copie ne garde pas cette composante. Je trouve ça dommage.
Alkonost
L'Alkonost, dans la mythologie slave, c'est un oiseau magique dont le chant est si beau et si doux que celui qui l'entend oublie absolument tout. Que celui qui a pensé « déesse de la vodka » se dénonce, c'est scandaleux ! On appelle ça de l'alloïophobie, mon bon Monsieur ! Oui, oui, je prends mes cachets, oh, ça va, hein... Si on quitte la mythologie, Alkonost, c'est un groupe de métal du Tatarstan formé en 1995. Les sujets traités et le nom pourraient faire penser à un groupe de folk métal mais il n'en est rien. En effet, il n'y a pas d'instrument traditionnel et par ailleurs le gros de la mélodie est portée non par les guitares mais par la claviériste. Les chanteurs sont au nombre de deux, l'un est un homme faisant dans le growl brutal, l'autre une soprano qui, sans pouvoir prétendre au chant lyrique comme chez Nightwish ou Within Temptation, apporte malgré tout une touche de fraîcheur bienvenue. Ainsi, je vous laisse comparer « Bei Molot » pour la première catégorie et « Notch Pered Bitvoï » pour la seconde. Pour ma part, je préfère les albums plus récents qui laissent une plus large part à cette demoiselle.
Yat-Kha
Parce que la Russie, ce ne sont pas seulement les Russes mais aussi les dizaines de peuples indigènes que les Cosaques — et plus récemment Poutine, dans le cas spécifique des Tchétchènes — n'ont pas réussi à exterminer, malgré le cœur et le zèle qu'ils ont mis à l'ouvrage. Et Yat-Kha nous vient de la République de Tuva à la frontière avec la Mongolie, où vit un petit peuple cousin des Turcs. Ils sont essentiellement connus pour le khöömei, un chant de gorge qui permet de rendre des sons diphoniques, en clair de chanter à deux hauteurs à la fois. C'est assez particulier mais pas inintéressant. Le groupe a été fondé en 1991 par Albert Kouvézine et un pote musicien, dans le but de mixer de l'électro avec la musique traditionnelle touvaine. Et en effet, le premier album intitulé Yat-Kha — un bon point au groupe pour son originalité — est très porté sur la musique électronique. Par la suite, le pote s'en va et Kouvézine se recentre sur de la musique plus traditionnelle : en témoigne cette chanson, « Kaa-Khem », tirée de l'album Yeniseï-Punk. Plus récemment, le groupe renforce sa composante rock en recrutant plus de musiciens et la part musicale est plus importante qu'avant. Ainsi, « Coming Buddha » donne un résultat assez différent de l'exemple précédent. Si je devais résumer, je dirais que si vous n'avez pas aimé la bande officielle de Mongol, vous n'aimerez vraiment pas Yat-Kha.
Книги
La littérature russe contemporaine est surtout connue pour ses polars, lesquels sont réputés être obnubilés par la mafia et avoir un net goût pour le sanglant et la violence inutile. De ce que j'ai pu lire, ce qui parvient jusqu'à nous ne correspond pas vraiment à cette image. Sauf en ce qui concerne la mafia.
Le Cauchemar d'Alexandra Marinina
Ce polar est le premier de la série mettant en scène l'inspectrice Anastasia Pavlovna Kamenskaïa. Celle-ci n'est en principe pas une agent de terrain : son boulot est de compiler les informations reçues des différents enquêteurs pour trouver comment elles vont ensemble et où il faut chercher plus d'informations. Mais un jour, son chef l'envoie sur le terrain parce que leur service est infiltré par la mafia et seule Kameskaïa est intègre à cent pour-cents à ses yeux. Commence alors l'enquête sur le meurtre d'une pute de luxe retrouvée étranglée dans un bois et qui semblait en proie à une psychose paranoïde sévère. Ce meurtre est bien évidemment crapuleux, et à mesure que l'enquêtrice avance, la riposte est de plus en plus sordide, s'en prenant à elle puis à ses proches. Ainsi, à partir de la moitié du livre environ, on vire presque au thriller tant la tension est palpable.
C'est un bouquin qui insiste beaucoup sur le quotidien des flics — l'auteur en est une elle-même — et sur les relations personnelles qui peuvent exister entre eux. Anastasia, en particulier, est limite sociopathe, son mode de pensée lui ferme l'accès à la compréhension des rapports humains de base. Un personnage très attachant, en somme. L'histoire est aussi très intéressante d'un point de vue culturel car elle se passe à la fin de l'année 1993 : ce n'est pas dit explicitement mais on peut le deviner en mettant bout à bout des informations dispersées dans le récit. Et pour cette raison, nombre de points de civilisation qui nous semblent aller de soi sont absents du livre car ils n'existaient pas dans la Russie d'alors : pas de chèque, pas de carte bancaire, pas de standard téléphonique dans les grandes organisations ! Au final, un roman policier assez ordinaire dans sa narration mais au scénario fort bien ficelé et qui nous ouvre une fenêtre sur les premières années de la Russie post-soviétique.
La chasse au renne de Sibérie de Julia Latynina
Officiellement, ce bouquin est un polar. En vrai, c'est un récit de guerre. Le récit de la guerre sans merci que se livrent vers 1998 la banque moscovite IVEKO et le conglomérat métallurgique d'Akhtarsk, dirigé par le tyrannique potentat Viatcheslav Izvolski. Le protagoniste de l'histoire est Denis Tchériaga, ancien juge d'instruction devenu vassal du khan d'Akhtarsk et chef de son service de sécurité, qui doit essayer de protéger le conglomérat pendant que la banque essaye d'en prendre le contrôle de manière agressive, puis organiser la riposte. C'est là le fil conducteur du roman. Ni l'une ni l'autre des armées en présence n'est à proprement parler mafieuse mais aucune n'hésite à faire appel à leurs services pour abattre un personnage gênant... ou à recycler des sous-chefs mafieux en sous-chef de service de sécurité !
Quant au style, il est assez particulier. Ce qui frappe en premier lieu, c'est que livre est entièrement écrit aux temps du discours (présent, passé composé) et non du récit (passé simple, imparfait). Ensuite, malgré son thème très sérieux, le livre est indubitablement plein d'humour, ainsi qu'en témoigne cet extrait choisi : « Nekliasov regardait les cachets avec l'étonnement sincère d'une pucelle devant un pénis. » Enfin, si Marinina fait du polar assez classique, ressemblant pas mal à ce qu'on peut lire chez les auteurs scandinaves, Julia Latynina est dans la vraie vie une journaliste spécialiste des rapports entre économie et crime organisé. Aussi, elle n'hésite pas à rentrer largement dans les détails concernant les montages financiers mis en place et, quand on n'y connaît pas grand chose en fraude fiscale, le résultat peut être bien prise de tête. En tout état de cause, un très bon roman que j'ai eu grand plaisir à dévorer, même s'il faut éviter de s'arrêter trop longtemps en cours de lecture, de peur de ne plus rien comprendre à la reprise.
Métro 2033 de Dmitri Gloukhovski

On quitte à présent le monde du polar pour entrer de plein pied dans la science-fiction. Ou le fantastique. Difficile à dire... On est clairement face à un roman post-apo, puisqu'il se passe en 2033 dans le métro de Moscou, dernier refuge de l'Humanité — du moins de l'Humanité moscovite, pour les autres on sait pas trop — après une guerre nucléaire sans précédent. La surface est totalement irradiée, des mutants divers et variés mais pleinement agressifs y vivent et les humains se terrent sous la surface. Ce monde est bien pensé, avec tous les problèmes liés à la survie dans ce type de milieu : les survivants ne supportent pas la lumière, les seules plantes qui poussent sont des champignons, etc. Plus la cohabitation difficile de néo-nazis, de communistes, de capitalistes, d'extrémistes chrétiens, de mafieux et même de satanistes — persuadés qu'il suffit de creuser le sol du métro pour trouver la porte de l'enfer — avec le commun des mortels métropolites. Et ça aurait pu s'arrêter là. Mais l'auteur y a surajouté une couche de fantastique — télépathie, voix des morts, réincarnation... — qui à mon sens n'apporte pas grand chose à l'histoire et casse plutôt la suspension d'incrédulité.
Quant à l'histoire, elle se résume en peu de mots. Artyom vit dans une station « frontalière » en butte aux attaques d'une espèce humanoïde venue de la surface. Un jour, un ami de son père l'envoie traverser le métro — ce qui ne se fera bien sûr pas sans embûches — pour prévenir un certain Melnik de la menace. Une fois celui-ci au courant, ils mènent une opération à la surface pour détruire ces créatures. Pour ce qui est de la troisième phrase, je tiens l'information de Wikipédia. Tout simplement parce que je n'ai jamais réussi à finir le bouquin même après trois mois d'obstination. Dans l'ensemble, il y a pas mal de bonnes idées et l'atmosphère est plutôt bien rendue mais j'ai trouvé le livre terriblement lent : on se fait chier. À de nombreuses reprises, Artyom passe un long moment à discuter avec des gens qu'il croise en chemin : sur le papier, cela aurait pu donner quelque chose de très bien parce que Artyom est un peu con-con et prêt à croire le premier venu qui parle avec un peu d'assurance. Sauf que d'une part, la plupart de ces dialogues tourne autour de l'aspect fantastique de l'univers, celui-là même qui me déplaît, d'autre part, tous autant qu'ils sont, ils s'éternisent sur des pages et des pages en foutant totalement en l'air le rythme d'une aventure où le héros est censé risquer sa vie à chaque tournant.
L'auteur a écrit un deuxième volume, Métro 2034, qui n'a pas encore été traduit en français : le résumé est moitié plus court que celui du premier volume pour un bouquin pas tellement plus petit ; autant dire qu'il va être encore bien chiant et que je ne risque pas de le lire !
Je vous aurais bien parlé d'un livre que j'avais beaucoup aimé, qui se passe chez les Nenets et nous aurait donc permis de sortir de la littérature strictement russe, mais je suis infoutu de retrouver son titre et mon exemplaire a été prêté à quelqu'un et jamais rendu. Donc tant pis...
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