Où se niche la pauvreté en France ?
Par Dominus Carnufex le 21 avril 2014, 01:00 - Lien permanent
Régulièrement, l'INSEE publie un certain nombre de données sur les revenus des ménages sous forme carroyée. Ça veut dire qu'on découpe la France en carrés de deux cents mètres par deux cents et qu'on calcule les valeurs moyennes pour les ménages qui habitent dans le carré. Pour des raisons de respect de la vie privée, lorsque dans les zones rurales un carré ne suffit pas à réunir plus de onze ménages, les données sont « lissées » sur plusieurs carrés jusqu'à obtenir un niveau suffisant de flou.
Un certain Étienne Côme, chercheur dans le domaine des transports, a utilisé une partie de ces données pour les représenter sous forme graphique. Il a utilisé un fond de carte d'OpenStreetMap (mangez-en, c'est bon) sur laquelle il surimpose un pixel de couleur par carré des données de l'INSEE. Il n'a cependant pas tout représenté et n'a conservé que quelques informations importantes.
Tout d'abord, la densité de population. Ensuite, le revenu annuel moyen. Il s'agit bien évidemment uniquement de revenu déclaré, le seul que nous ayons. Cependant, cette donnée est tout à fait valable dans la mesure où les études sur la fraude à l'impôt sur le revenu montrent que celle-ci a essentiellement une influence sur les très hauts revenus : comprendre, les très très riches auront seulement l'air très riches sur la carte. Par ailleurs, le revenu déclaré des ménages est ensuite divisé par le nombre d'unités de consommation qui composent le ménage. Cela permet de comparer les revenus de familles de composition différente en fonction de leurs besoins et d'avoir une meilleure idée du niveau de vie réel. Pour des raisons de simplicité, je parlerai uniquement de « revenu » dans cet article. Le revenu moyen à l'échelle de la France est d'environ dix-neuf mille euros.
Viennent ensuite des informations démographiques sur l'âge des populations. D'abord, le pourcentage de jeunes, c'est-à-dire de personnes âgées de moins de 25 ans, et ensuite le pourcentage de vieux, comprendre les plus de 65 ans. La moyenne nationale est d'environ 30 % de jeunes et 18 % de vieux. Enfin, vient le pourcentage de bas revenus mais cette donnée ne m'intéresse pas ici, je ne m'appesantirai donc pas dessus.
Cette représentation graphique des données donne des résultats frappants et visuellement très parlants. En l'explorant, j'ai voulu m'intéresser à une question qui me semble importante : où sont les pauvres en France ? Quels sont les foyers de pauvreté et comment sont-ils répartis sur le territoire ?
Première (et principale en nombre de gens) sorte de pauvreté : les cités
Celle-là, tout le monde y pense. Les rappeurs nous ont tellement bassinés que maintenant, quand on entend « misère » ou « galère » on pense direct « té-ci ». Et les habitants des cités représentent sans doute la majorité des très pauvres de France, en tous cas les concentrations les plus importantes.
Des cités, on en trouve un peu partout, la plupart des villes de plus de dix mille habitants en ont au moins une. On pense naturellement à la partie de la Seine-Saint-Denis qui jouxte Paris, au Mirail à Toulouse ou moins naturellement à la cité qui trône au nord de Lens. Il y en a des tas d'autres, bien sûr.
Ces zones de peuplement sont caractérisées par une très forte densité de population : on explose parfois les dix mille habitants au kilomètre carré, c'est plus qu'à Singapour ! Les revenus annuels moyens y dépassent rarement dix mille euros, soit moins que le SMIC, tout en tombant rarement aussi bas que huit mille euros.
Et surtout, la caractéristique la plus notable, c'est que la population y est extrêmement jeune. On trouve généralement plus de 40 % de jeunes et cette proportion monte facilement jusqu'à presque 60 %. Les vieux, au contraire, sont presque absents : moins de 5 % et souvent même moins de 2 %. C'est une structure démographique que l'on retrouve dans des pays comme l'Afghanistan, le Soudan et le Bangladesh. Il se trouve que ces trois pays sont majoritairement musulmans mais c'est un hasard : cela correspond en fait à la norme des Pays les Moins Avancés, écrêtés des cas extrêmes comme l'Ouganda.
Il est à noter qu'il n'y a pas de hiérarchie entre grandes et petites villes : ces caractéristiques se retrouvent avec la même ampleur dans les cités de Toulouse (Mirail, Izards, etc.) et dans la cité Sabatot à Saint-Gilles-du-Gard. On peut donc les considérer comme un critère valide de caractérisation.
La périphérie des cités est également très pauvre mais d'une manière différente. Déjà, les revenus sont un peu supérieurs, entre dix et douze mille euros. Ensuite, la pyramide des âges suit la moyenne nationale.
En résumé, on peut dire que les cités forment des noyaux durs où s'entasse en grande quantité une population de type Tiers-Monde. Celle-ci provoque un effet répulsif sur le reste de la population, aux caractéristiques démographiques occidentales, et seule la frange la plus pauvre de cette population « occidentale » vit au contact des cités parce qu'elle n'a pas les moyens de vivre ailleurs.

Deuxième (et principale en superficie couverte) sorte de pauvreté : le Massif Central
Ceux-là, au contraire, ce sont les oubliés de la France. Quand je dis Massif Central, c'est une manière de schématiser. En vérité, cela correspond à une vaste région centrée sur le Massif Central et délimitée plus ou moins par Autun, Niort, Villeneuve-sur-Lot, Castres, Alès et Bourg-lès-Valence. On pourrait presque l'étendre jusqu'à la frontière espagnole, si ce n'était pour la zone très riche de la grande corolle autour de Toulouse. Il existe par ailleurs quelques zones similaires mais de taille moindre : l'Ouest de la Normandie, la Bretagne et la Provence intérieures, la Corse.
De plus, cette pauvreté ne touche que les zones rurales : les grandes villes et leurs agglomérations, comme Périgueux, Aurillac ou Rodez, forment des « trous » de richesse dans la vaste toile de pauvreté.
Ces zones ont des caractéristiques très différentes de celles des cités. La densité y est faible voire très faible et la population est globalement plus riche que celle des cités et de leurs alentours : on y trouve des revenus annuels moyens qui oscillent entre douze et quatorze mille euros, soit un gros SMIC. Et la tendance démographique est totalement inverse. La proportion de jeunes peine à atteindre 25 % et se trouve souvent inférieure à 20 %, tandis que les vieux représentent rarement moins de 25 % de la population et crèvent souvent le plafond de 35 %. Le hameau du Prat à Cassaniouze a presque 60 % de vieux et strictement aucun jeune, 0 %. C'est bien évidemment un cas extrême mais il est emblématique.
Si les revenus sont supérieurs à ceux des cités en valeur absolue, la qualité de vie ne s'en ressent pas en proportion. En effet, ces régions étant faiblement peuplées, peu attirantes économiquement et vieillissantes, il n'est pas rentable d'y mener une politique publique de création d'infrastructures. En français du petit peuple, ça veut dire « paye ta demi-heure de bagnole sur des routes perraves pour trouver le cinéma ou l'hôpital le plus proche ».
C'est une réalité que dénonce le rappeur vendéen MC Circulaire dans une chanson comme Demain, c'est trop tard : il y raconte en termes crus comment dans ces régions sinistrées on noie son ennui dans l'alcool parce qu'il n'y a plus le boulot pour s'abrutir. Je me dois cependant de faire remarquer que l'environnement du rappeur est légèrement différent de ce que je décris. En effet, en Mayenne, en Loire-Atlantique et dans une moindre mesure en Vendée, la population est plutôt jeune : en moyenne, on y trouve 40 % de jeunes et 10 % de vieux.
Troisième (et principale en gravité) sorte de pauvreté : les Gitans sédentarisés.

Je ne rentrerai pas dans le débat sur la manière de nommer ces populations, Manouches, Tsiganes, Roms ou le politiquement correct Gens du voyage : chez moi, ça s'appelle des Gitans, point barre. Les itinérants ne sont évidemment pas concernés mais les sédentaires n'en sont pas moins difficiles à pister, puisque leurs implantations sont pour la plupart sujettes à destruction par les autorités et qu'il devront alors se déplacer.
La population de ce type d'implantations est assez similaire à celle des cités : la proportion de jeunes y est énorme et celle de vieux y est minime. Quant aux revenus, ils sont encore plus bas, tournant en moyenne autour de huit mille euros annuels. Cette différence peut en partie s'expliquer par une facétie de la législation française : les caravanes ne sont pas considérées comme des logements, quand bien même elles sont assujetties à la taxe d'habitation, et par conséquent ceux qui habitent à l'année dans des caravanes n'ont pas droit aux allocations concernant le logement.
Ces implantations sont généralement des camps de caravane : les deux lois Besson successives font obligation aux communes de plus de cinq mille habitants de mettre à disposition des Gens du voyage des aires d'accueil pour leurs habitations mobiles. C'est donc la solution que la plupart des communes choisissent.
Cependant, cela ne suffit pas toujours, surtout quand l'implantation commence à durer, quand les « Gens du voyage » s'avèrent être vachement sédentaires. Ainsi, le quartier du Polygone à Strasbourg est connu pour abriter depuis plus de quarante ans un bidonville de Gitans : les caravanes y ont en partie laissé place à des cabanes en matériaux de récupération. Depuis quelques années, la ville a entamé des travaux visant à transformer ce ramassis de taudis en un lotissement de petites maisonnettes. Le revenu des habitants n'y a cependant pas changé et cela restera un ghetto de Gitans : les maisons et les terrains autour ont été spécialement conçues selon les désirs et les « besoins spécifiques » des Gitans et il y a donc peu de chance que d'autres populations viennent s'y implanter.
À Toulouse, les habitants les plus pauvres se trouvent dans le quartier Ginestous et en particulier dans les cités Picarel et Saint-James : ce sont de charmants petits pavillons construits dans les années 1950 et entièrement rénovés dans les années 2000. Quand je dis charmants, je veux dire à condition d'apprécier le fait d'être en zone inondable et d'avoir pour seule infrastructure en état de fonctionnement dans le voisinage une centrale d'épuration des eaux.
De manière générale, le niveau de développement dans les implantations gitanes est extrêmement bas. L'accès à l'eau potable et à des sanitaires leur est difficile et s'ils se servent par eux-mêmes, cela génère des conflits avec la population existante : ainsi, Vernouillet a été le théâtre de violences entre Gitans et populations locales, parce que les premiers se servaient d'une borne incendie pour amener de l'eau à leur campement et que les seconds leur coupaient le tuyau et demandaient qu'on les évacue. Le niveau de scolarisation est également dramatiquement faible : à Ginestous, 93,6 % des jeunes adultes n'ont pas le Bac ni un niveau d'instruction équivalent.
Enfin, les métiers dans lesquels ils sont relégués contribuent à faire empirer leur situation d'hygiène. Ainsi, tout le quartier Ginestous est parsemé de cimetières de voitures brûlées parce que le ferraillage fait partie de leurs principales activités mais la concentration de voitures pourrissantes attire les rongeurs et les Gitans s'en débarrassent en faisant tout brûler. Ce problème n'est pas nouveau puisque La Dépêche en parlait déjà en 1998.
Du coup, où est la richesse ?
La réponse la plus simple serait : dans les agglomérations urbaines. Mais on trouve également quatre régions riches particulièrement notables.
Premièrement et sans surprise, la capitale. En vérité, une énorme zone autour de la capitale. Ainsi, à l'exception de quelques noyaux de pauvreté comme Saint-Denis, Creil ou Mantes-la-Jolie, une vaste Île-de-France débordant jusqu'à Beauvais ou Compiègne et accompagnée de « satellites » le long des principaux axes autoroutiers — à savoir les agglomérations de Rouen-Évreux, Reims et Orléans-Tours — connaît des revenus moyens supérieurs à vingt mille voire vint-cinq mille euros par an.
Deuxièmement, la région Rhône-Alpes est globalement riche : il faut cependant en exclure les départements de la Loire, de la Drôme et de l'Ardèche. Le reste bénéficie indéniablement de deux facteurs : de l'agglomération lyonnaise et de la proximité de la Suisse. C'est très net dans l'Ain : les revenus moyens y sont d'autant plus élevés que l'on s'approche de la Confédération Helvétique.
Troisièmement, l'Alsace, à l'exception de l'Alsace Bossue, se détache très nettement comme une zone riche. Est-ce la proximité de la Suisse ? De l'Allemagne ? La législation qui y est différente de celle du reste de la France ? Je ne saurais le dire. En revanche, on notera que c'est la seule région de Métropole qui n'ait jamais basculé à gauche depuis que les élections régionales existent.
Quatrièmement et sans grande surprise non plus, la côte provençale et les abords immédiats du Rhône et de la Saône. Dans ce contexte, je voudrais terminer mon exposé en revenant sur le cas de Marseille. Cette ville est une épine dans le pied des gouvernements successifs, impuissants à enrayer la montée galopante de la violence et de la criminalité. La carte de M. Côme apporte peut-être une explication simple et frappante de cette spécificité marseillaise. Je vous laisse regarder par vous-mêmes.
