La Cour des Miracles
Par Kergan le 2 juin 2014, 01:00 - Lien permanent
« Depuis plusieurs siècles, Paris et ses environs étaient infestés d’une foule de vagabonds et de pauvres. La plupart, gens sans aveu, mendiants de profession, tenaient leurs quartiers généraux dans les cours des miracles. »
Paul Bru – Histoire de Bicêtre
Asseyez-vous bien, mes chers amis, aujourd’hui c’est le jour où Tonton Kergan vous parle de manière tout à fait triviale de ses éléments préférés de l’histoire de France, sans vous donner le contexte global. Mais ça, c’est juste pour faire hurler tous les historiens du coin.
Aujourd’hui, ce bon vieux Tonton Kergan va vous parler de la Cour des Miracles. Oh, j’en entends déjà dans le fond qui chantent la chanson du Bossu de Notre Dame de Disney. Ou bien mes hallucinations auditives empirent. L’honnêteté m’oblige à leur dire… qu’ils ont tout à fait raison. Bravo les gars, continuez comme ça. C’est bien de cette cour des miracles-là qu’on va parler, même si la réalité (comme souvent) est à la fois plus sombre et plus intéressante que la fiction.

Le dépotoir de la société
Alors qu’est-ce que la Cour des Miracles ou, plutôt, que sont les cours des miracles, puisque le terme est générique et s’applique à de nombreux endroits ?
Il s’agissait de différents lieux de non droit, répartis à travers les différentes grandes villes de France, généralement situés au cœur d’un labyrinthe de ruelles, de culs-de-sac et de places intérieures, dans lesquels les truands en tout genre, à partir du XVIème siècle, se retrouvaient pour se battre, boire, manger, dormir, effectuer d’autres activités tout aussi ludiques mais plus personnelles et, d’une manière générale, se payer du bon temps entre gens de mauvaise compagnie.
La cour des miracles principale de Paris et celle sur laquelle je vais principalement me concentrer dans cet article, parce qu’il s’agit de la plus connue et de celle qui a rassemblé en son temps le plus de truands, se situait entre les actuelles rues du Caire et Réaumur, près de la porte Saint-Denis, sur une « place d'une grandeur considérable […], très grand cul-de-sac puant, boueux, irrégulier, qui n'est point pavé ». Vivaient en même temps dans cet endroit mal famé plus de cinq cent familles, entassées les unes sur les autres dans des taudis en boue, en bois et en détritus, chacune chargée d’enfants illégitimes, d’orphelins récupérés ou dérobés. Ouais, à l’époque, un enfant c’était un enfant, quelle qu'eût été sa provenance, pour les pauvres en tout cas.
Mesdames et Messieurs, voici vos truands…
De la truanderie en ce beau royaume de France
Ils sont beaux, ils sont frais, ils ont encore quelques dents, venez voir mes truands ! On trouvait là bien entendu des membres de la Grande Truanderie — tueurs, cambrioleurs ou arnaqueurs — mais la majeure partie de la population de ce trou à rats était constituée du beau peuple de la Petite Truanderie : les mendiants !
Parce que oui, c’est pas glorieux mais la Cour des Miracles, c’était avant tout des clochards, des gueux. Ces mêmes quémandeurs que vous croisiez dans la journée, la sébile à la main, ces estropiés, aveugles, brûlés, marchands ruinés et autres pèlerins, qui vous harcelaient pour « une p’tite pièce m’seigneur ? », dès la nuit tombée se réunissaient dans leurs quartiers, et là… Miracle ! Le cul-de-jatte courait le cent-mètres, l’aveugle allumait une torche pour mieux voir et le malade effaçait son maquillage. D’où l’appellation « Cour des Miracles ». Et chacun de boire, de chanter, de faire ripaille, de se taper dans le dos — pas le sien, hein, celui de son voisin — et de se moquer du bourgeois qui dort heureux dans son lit, persuadé d’avoir aidé un pauvre estropié à survivre un jour de plus.
Une bonne grande blague, en quelque sorte…

La contre-société des truands de Paris
Parce que ouais, on peut parler de contre-société : d’abord, je parle de ce que je veux, c’est mon article. Vous n’êtes pas encore convaincus ? Attendez de rencontrer le Roi de Thune, le Maître de Hongrie, le Prince de l’Argot : le Grand Coësre (prononcez Couère). Le voilà, le drôle, assis sur un demi-tonneau, paré d’une cape d’Arlequin, couronné d’un chapeau orné de bouchons, qui rend la justice du bout d’un bâton de pommier et qui règne sans partage sur tous les gueux de Paris. Voilà votre César — la parenté de ce mot avec Coësre est plus évidente quand on sait qu’on l’appelait aussi Césaire — voilà votre Louis !
Pardon, des fois je m’emporte un peu dans des élans poético-trucmachins. Mais avouez qu’il devait être divinement comique à voir, non ?
Et attendez, ce n’est pas fini : les gueux formaient une société parfaitement hiérarchisée, avec ses titres de noblesse — le Duc d'Égypte, l’Empereur de Galilée, même si ce dernier n’est pas sûr, après tout, le seul à en parler, c’est Victor Hugo — ses statuts et ses corps de métiers, qu’on était censé rejoindre après avoir été initié aux secrets de la truanderie…
Un cérémonial qui rendrait jaloux n’importe quel bizuteur
Il arrivait régulièrement que la cour doive accueillir de nouveaux membres : vous ne devineriez jamais le nombre de clodos que les flics emportaient à l’époque, on se croirait au XXIe siècle. Un des lieutenants du Coësre, un cagou, devait se porter garant de vous et devenir votre parrain. Il vous traînait devant la Cour des Miracles et vous posait, allongé, en plein milieu. Après quoi, chacun des membres présents devait venir s’asseoir sur vous pour « tester votre solidité ». Ensuite de quoi, on vous demandait de planter un bâton en terre le plus profondément possible, tout en répétant « J'atrime au tripeligourt » (je volerai trois fois très bien — nom de Dieu, ce que j’aime l’argot), avant de baiser la main de votre cagou et la cuisse du Coësre.
Après quoi, pour changer, on festoyait aux frais de l’assemblée. C’est moi ou les gueux festoyaient étonnamment beaucoup à l’époque ?
Vous commenciez pechon ou apprenti, puis vous deviez accomplir deux chef-d’œuvres — on vous faisait voler la bourse d’un habit recouvert de grelots et le moindre tintement provoquait une pluie de coups, puis on vous faisait repérer pendant un vol, afin de voir si vous dénonceriez vos comparses et on en profitait pour couper les bourses des badauds assistant à la scène — pour devenir blesche, puis coesme, coesmelotier ou coesmelotier huré, etc.

Vous en avez marre des grades ? Alors apprenez avec tonton Kergan à arnaquer les gens !
À partir de là, vous rejoigniez un des différents corps de métier de la Cour des Miracles.
- Les mercandiers, qui se faisaient passer pour des marchands ruinés.
- Les archisuppôts, des moines défroqués et des étudiants qui réinventaient sans cesse l’argot et planifiaient les cambriolages.
- Les rifaudés, de fausses victimes d'incendies, avec des brûlures plus vraies que nature sur tout le visage.
- Les convertis, qui se faisaient passer pour d’anciens protestants touchés par la grâce.
- Les coquillards, de faux pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle.
- Les malingreux, qui se passaient les jambes avec un mélange de sang de bœuf et de farine pour donner l'impression de les avoir pleines de furoncles et de plaies.
- Les hubins présentaient un certificat affirmant qu'ils s'étaient fait mordre par un chien enragé et criaient que « saint Hubert les avait guéris ».
- Les sabouleux, de faux épileptiques, auxquels on apprenait à écumer convenablement en se collant un morceau de savon dans la bouche.
- Les callots, qui se prétendaient guéris de la galle par le pèlerinage de Sainte-Reine.
- Les courtauds de coutanche, de simples mais redoutables pickpockets.
- Les capons, chargés de mendier dans les cabarets et dans les lieux publics et de rassemblement et qui poussaient les passants au jeu auprès de quelques camarades à qui ils servaient de compères.
- Les piètres, de faux infirmes, culs-de-jattes, aveugles, etc.
- Les mions, des bandes d'enfants mendiants.
- Les drilles ou narquois, des déserteurs ou de faux soldats, qui faisaient croire à l’aide de pansements ensanglantés qu’ils avaient été blessés en défendant leur patrie.
- Les polissons, qui mendiaient presque nus, par groupes de quatre.
Et tant d’autres qu’il serait long de citer ici… Vous commencez à comprendre pourquoi, à eux tous, ils arrivaient à se nourrir convenablement le soir ? Imaginez cinq cent mendiants, à tous les coins de Paris, terriblement convaincants et assistés de voleurs, qui mettent leur butin en commun chaque soir ? Ajoutez les prostituées, les cambrioleurs, arnaqueurs et tueurs et vous aurez une assez bonne image de la truanderie de l’époque…
La mort des miracles

C’est le célèbre Gabriel Nicolas de la Reynie, lieutenant de Police de Paris et fondateur de la Police moderne qui, selon la légende, aurait mis à bas la Cour des Miracles en 1667. Il aurait, à l’aide d’un canon, ouvert des brèches dans les murs de la Cour et aurait disposé ses troupes de manière à les faire croire plus nombreuses qu’elles ne l’étaient réellement. Là, il aurait crié aux truands qu’il offrait le pardon à toutes les personnes qui sortiraient de la Cour, à l’exception des douze dernières, dont six seraient pendues et six autres expédiées aux galères, ce qui provoqua la fuite de l’intégralité des truands. Malheureusement pour ce bon la Reynie, chacun d’entre eux ou presque se contenta de se rendre dans une autre cour des miracles parisiennes et recommença son petit marché dans son coin, à la tête d’une nouvelle bande.
Au bout de six ans d’efforts infructueux pour déloger les bandits, la Reynie perdit espoir et demanda au roi de le libérer de sa charge…
La Cour des Miracles allait-elle survivre ? Et bien non. Après les efforts infructueux de la Police, ce fut finalement l’assainissement de Paris et son urbanisation massive qui mirent à mal les quelques espaces de non droit où les voleurs et mendiants se retrouvaient encore, les reléguant dans la rue où ils se dispersèrent bien vite…
Adieu veaux, vaches, cochons, mendiants, voleurs, cagous et Coësres, le souvenir de vos vols ne sera retenu que des poètes — dont François Villon, dont je vous ai déjà parlé, lui même voleur patenté.
Post scriptum à l’attention des pointilleux qui me feraient remarquer une erreur
Je ne suis pas historien ni même étudiant en histoire et je n’ai pu rassembler des informations que dans la limite de mes pauvres moyens, aussi est-il possible qu’une erreur se soit glissée dans cet article. Je suis vraiment désolé mais dites-vous bien que, les mouchards — ou marpots, oui, j’adore glisser de l’argot dans mes phrases — étant vite exécutés, peu d’informations fiables ont filtré jusqu’à nous sans passer par le filtre de l’exagération poétique. Oui, Hugo, c’est à toi que je m’adresse.
Néanmoins, j’ai fait de mon mieux pour trier ce qui me paraissait fiable et ce qui me paraissait inventé de toutes pièces, aussi, merci d’être indulgents envers un simple passionné…
Commentaires
Très intéressant, merci !
C'est intéressant, je lisais il n'y a pas longtemps une biographie de François Villon où l'auteur en vient à parler de la bande des coquillards, des bandits de grands chemins dont le fonctionnement ressemblent beaucoup à ce que tu décris (argot, grades...)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Coqui...
Ah j'avais pas fini de lire l'article et je vois que tu cites Villon ^^