Aujourd'hui, professeur Rhodo va vous parler un peu d'elle, de son enfance dans le Noooooooord. Enfin, plus précisément, dans le Pas-de-Calais, faudrait pas confondre et déclencher une énième guerre. D'aucuns diront qu'au-dessus d'Orange c'est déjà le Nord mais ce sont des extrémistes… dont je fais maintenant partie ! Vous avez tous entendu — ou pire, vu — la bouse l'aberration que constitue le film Bienvenue chez les Ch'tis. Oué ben, en fait, c'est pas du tout de ça que je vais parler. Outre le fait de massacrer le patois, ce film confond Ch'tis et Flamands et ne parle pas assez du folklore ch'ti. Parce que, oui, ça existe ma brave dame ! Alors je ne vais pas vous parler de la recette ancestrale de la fricadelle — je vous laisserai pour cela voir (ou revoir) le film Dikkenek — ni du carnaval de Dunkerque mais plutôt de légendes ou chansons qui font qu'un Ch'ti est un Ch'ti et qui vous feront dresser les poils sur la tête.

Petite remarque à l'attention des tatillons qui liraient cet article : le ch'ti ne s'écrit pas, ça se parle et l'orthographe généralement retenue pour l'écrire me semble fautive sur bien des points. De plus, il est difficile d'avoir la même prononciation d'un péquin à un autre alors une graphie commune… Donc, comme on dit chez moi, brin !

Marie Gro(u)ette

La représentation de Marie Groëtte selon la ville d'Houdain.

Kô k'cha-n-n'est d'chô ? Bon, vous pouvez également dire « Hein ? » mais en prononçant bien la voyelle pré-ouverte antérieure non arrondie nasale, pour se mettre dans l'ambiance. La légende de Marie Groëtte — mon pôpa le prononçait comme ça lorsqu'il me racontait l'histoire donc c'est forcément lui qui a raison, na ! — fait partie de toutes ces histoires racontées aux enfants pas sages pour leur faire peur. Il s'agit ni plus ni moins d'une sorte de Croque-mitaine mais féminin. Cette charmante dame, vivant dans l'eau, y attire les enfants qui s'en approchent un peu trop à l'aide de son groët, un outil, servant généralement à ramasser le fumier, à trois ou quatre dents courbes.

Ma grand-mère disait : « Ch'el Marie Groëtte, al saque ché z'éfants au fond de l'iau avec sin groët. Méfie-te, m'fil ! ». Votre grand-mère à vous aurait plutôt dit que Marie Groëtte attire les enfants au fond de l'eau avec son crochet. Et qu'il faut s'en méfier.

Il s'agit bien évidemment d'une légende éducative et la Marie Groëtte en question n'est pas forcément si méchante que cela : grâce à la peur qu'elle inspire, elle évite ainsi aux enfants de trop s'approcher de l'eau. C'est extrêmement utile, notamment dans l'Audomarois (région de Saint-Omer) avec ses nombreux marais.

Mémère Poussière

Je ne sais pas trop si c'est une légende ch'ti ou une expression paternelle mais mon père incarne à lui seul toute la culture ch'ti.* Donc vous devrez vous contenter de cette explication. Votre enfance a dû être bercée par Nicolas et Primprenelle, avec Nounours et le marchand de sable. Qu'ouis-je ? Z'êtes trop jeunes ? Faut vraiment refaire votre éducation ! Bref, quand j'étais petite, j'avais Nounours mais j'avais aussi Mémère Poussière. Comme son nom l'indique, c'est le strict équivalent féminin du marchand de sable. Cette charmante vieille dame jette de la poussière — oué, dans le Nord on est pauvre donc on n'a que de la poussière — qui fait dormir les petits n'enfants. Comment ça c'est du GHB ? Tout de suite les clichés ! On est pédophiles et consanguins mais on n'aime par les proies inertes. Nan mé oh ! Je cite à nouveau ma grand-mère qui, lorsqu'elle me voyait en train de me frotter les yeux de fatigue, me disait : « Ah ch'nénin y est mat' ! Mémère Poussière, al passe. ». Demandez pas à google traduction, vous feriez boguer la bête. Plus simplement : « L'enfant est fatigué ! Mémère Poussière elle passe. ». Vous aurez remarqué au passage que le ch'ti adoooooore ajouter des petits mots absolument inutiles comme ici, sujet et pronom sujet.

« Ajouque te », un grand moment de poésie…

Vous êtes tous déjà allés à un mariage ou une communion ? Vous connaissez alors sûrement un tas de chansons toutes plus débiles les unes que les autres comme À la queue leu leu ou On fait tourner les serviettes. Heureux les simples d'esprit qui ne connaissent pas ! Chez nous, on a aussi ce genre de chansons, rassurez-vous. Et comme les Ch'tis sont assez fêtards et souvent bourrés, ils chantent souvent… Las ! Je vais donc vous donner le refrain — pas la chanson entière sinon j'aurais un procès sur le dos pour séquestration avec actes de barbarie sur mes lecteurs.

Ajouque te, arliève te !
Frotte ét'beudaine contre eul'mienne Philomène
Ajouque te, arliève te !
Ajouque te, arliève te !
Frotte ét'beudaine contre eul'mienne Philomène
Ajouque te, arliève te !

Pour avoir le son avec. Âmes sensibles s'abstenir.

Comme vous pouvez le constater, il y a de magnifiques rimes suivies féminines en -e, le doux nom de Philomène rimant ici avec « bedaine » ce qui est fréquent lorsque l'on boit trop de bière ! Vous pensiez avoir touché le fond ? Ben sachez que je vous ai épargné la chorégraphie digne d'une comédie musicale de Kamel Wali. Bon, dans un pays civilisé où on remplace le beurre par de l'huile d'olive et la bière par un petit rosé, cette chorégraphie devient tout de suite beaucoup plus… sensouelle, l'absence de bedaine aidant !

Le ski… tout in haut de ch'terril

Un tel ciel bleu n'arrivant que tous les 57 ans en moyenne, cette photo a valeur de trésor national…

Ah le Pas-de-Calais, le plat pays, comme le chantait Brel ! Ben il est pas si plat que ça. Si vous vous souvenez de vos cours de géographie, la région Nord-Pas-de-Calais était connue pour son activité minière. On extrayait le charbon et on faisait des mini-montagnes avec la terre, les cailloux et autres trucs non combustibles. Longtemps, ça a servi aux gosses pour jouer à la guerre et on rentrait à la maison les genoux tout écorchés, provoquant ainsi l'ire de la mamie dont j'ai parlé plus haut. Mais ces tas de cailloux faisant la joie de générations de nénins ont vite été convoités par la génération précédente de nénins devenue adulte : la DDE est passée par là et bon nombre de terrils ont été recyclés pour servir de matière première aux routes. On en a bien sûr gardé quelques uns pour le folklore mais comme on n'a pas beaucoup de touristes — une histoire étrange de climat, toussa — et qu'on est pauvres, des zigotos ont eu l'idée… d'en faire une piste de ski. Oui, oui, vous avez bien lu. Cette « attraction » se situe à Nœux-les-Mines — ça vous fait rêver hein ? — et permet aux jeunes (et moins jeunes) de la région de s'essayer au ski.

Les sensations de glisse me direz-vous ? Je n'ai jamais testé mais un ancien moniteur de ski — un pur produit savoyard, je précise — me disait qu'après quelques ratés, on s'habitue vite et c'est assez sympa. Bon, faut juste apprécier l'accent des moniteurs indigènes.

Sur ce, mi j'a des coz à fair ! Ch'éto un plaisir d'té vir et d'boir un' bistouille avec ti ! In s'appelle et in s'dit kô ?




 * Comprendre par là qu'un phénomène de foire pareil, on en voit rarement. (Note du rédac-chef et accessoirement gendre du pôpa sus-cité).