Comme c'est bientôt les vacances, tout le monde commence à relâcher la pression, on s'imagine déjà au bord de la piscine les doigts en éventail. Attention, cependant ! L'ennui guette ! Alors pour vous assurez de ne jamais avoir de temps mort, Tonton Carnufex vous apprend comment réussir un bon génocide, histoire de passer le temps.

Quelques précautions d'usage, avant de commencer

Un génocide est un projet long à mettre en œuvre et qui ne souffre pas d'être interrompu en cours de route. Veillez donc à disposer de quelques siècles devant vous avant de vous lancer dans l'aventure : ce serait dommage de voir le joli soufflé retomber lourdement faute de l'avoir assez surveillé.

Par ailleurs, un génocide est quelque chose de très salissant qui risque de pourrir définitivement votre maison. Par conséquent, prenez garde à faire votre génocide loin de chez vous, là où le sang ne vous éclaboussera pas trop, ce qui ne manquerait pas de détourner vos amis de vous.

À présent que vous êtes frais et dispos, lançons-nous dans la recette !

Je trouve moi aussi cette déco très tendance mais ce n'est pas le cas de tout le monde.

Étape 1 : le choix du terrain

Il faut tout d'abord s'attacher à trouver la matière première idéale. On pourrait commencer par une petite région bien délimitée, histoire de s'attaquer à petit afin de parfaire la technique. Ce serait une grave erreur !

Choisissez une région relativement grande, en dehors de toute délimitation naturelle ou culturelle, selon des frontières parfaitement arbitraires, en vous assurant cependant que le résultat sera pleinement hétérogène. Par exemple, la Centrafrique.

L'essentiel du pays est composé de savanes mais tout le sud est largement forestier. Le nord dépend d'un bassin fluvial et donc commercial orienté vers le Tchad et le Soudan, tandis que dans le sud, ces réseaux sont tournés vers le Congo. La population est majoritairement agricole mais une minorité est pastoraliste : cette minorité appartient cependant à un peuple (les Peuls) présent en grand nombre dans les régions voisines ; et par grand nombre, j'entends dix fois plus que la population totale de la Centrafrique.

Enfin, assurez-vous que le pays dispose de ressources de très grande valeur et relativement faciles à exploiter : dans notre cas, il s'agira du pétrole, de l'uranium et des diamants. Ce n'est pas forcément toujours simple à obtenir mais tâchez de faire en sorte que l'ethnie majoritaire (les Gbaya) vive dans la région qui ne possède pas ces richesses.

Vous avez alors un joli terrain de jeu. Cependant, les humains étant ce qu'ils sont, ils sont plus volontiers portés sur le commerce que sur le massacre généralisé à la machette. Il faut donc les pousser dans le bon sens.

Étape 2 : bien tasser la poudre

Cette étape est la plus longue et se divise en deux types d'action différents.

Premièrement, il s'agit de ruiner totalement la région. Pour cela, plusieurs méthodes sont possibles. Dans un premier temps, dépeupler le territoire en poussant les populations côtières de l'Afrique à venir pratiquer la chasse aux esclaves sur place est une excellente stratégie. Pour une meilleure efficacité, sachant que la constitution de viviers à esclaves a généralement pour seule conséquence le déplacement des populations servant de matière première, ne pas hésiter à les prendre en tenaille : les populations du Congo viendront se servir au sud et les populations de Somalie viendront se fournir au nord.

Dans un second temps, lorsque les intermédiaires deviennent trop gourmands, se déplacer en personne et instaurer un système colonial, de façon à rendre l'économie locale totalement dépendante de sa capacité à exporter sa production vers chez vous. Par exemple, décrétez que tous les agriculteurs de Centrafrique devront cultiver du coton et l'échanger contre de la nourriture que vous produirez vous-même. Résultats garantis ! N'hésitez pas non plus à donner à la population de cette région un statut inférieur à celles des régions avoisinantes en la soumettant à du travail forcé sur des travaux de modernisation de vos autres colonies à proximité.

La deuxième action consiste à renforcer les clivages préexistants. Vous pourrez notamment vous assurer que les populations se convertissent à des religions différentes et notoirement ennemies, comme le christianisme pour la majorité de la population et l'islam pour une minorité essentiellement située dans le nord du pays. Ou encore, favoriser l'émergence d'une langue de communication nationale (le sango), qu'une minorité septentrionale ne parlera pas.

À cette étape, si votre colonie montre des signes de révolte à connotation ethno-religieuse, c'est un signe d'excellente santé de votre génocide en gestation. En Centrafrique, la guerre du Kongo-wara entre 1928 et 1932 en est un très bon exemple : si en apparence, il s'agit d'une simple révolte contre la domination européenne, il s'agit en vérité également d'une guerre contre les Peuls, nomades pastoralistes musulmans, menée par les agriculteurs sédentaires chrétiens, dans le but principal de s'accaparer les terres arables, devenues précieuses en raison de la production vivrière insuffisante.

Étape 3 : allumer la mèche

Intervient alors le moment clé de la réalisation de votre génocide : quitter le pays au moment le plus opportun. Il faut parvenir à ce que la transition vers l'indépendance soit assurée par un parti ultra-majoritaire aux élections, parce que cette domination sans partage justifiée uniquement par la lutte contre l'ennemi commun qu'était le colonisateur constitue un appel presque irrésistible à la dictature. Et cette stratégie est une réussite totale dans le cas qui nous intéresse : quelques mois à peine après l'indépendance, le régime est déjà devenu dictatorial, félicitations !

L'indépendance n'est bien sûr qu'une chimère. Le pays étant financièrement totalement dépendant de vous et n'ayant plus d'infrastructure étatique, vous pourrez jongler avec les dictateurs en fonction de vos intérêts du moment. David Dacko se rapproche un peu trop de la Chine ? Remplacez-le au pied levé par le sympathique Mobutu et laissez ce dernier se proclamer empereur, ça lui fait tellement plaisir ! Après quinze ans de bons et loyaux services, la mégalomanie de celui-ci commence à devenir gênante ? Remettez M. Dacko au pouvoir. Il se met à vouloir rétablir la démocratie ? Sortez André Kolingba de votre manche ! Lorsque la dictature devient out, virez le dernier dictateur et organisez des élections en prétendant que le nouveau président n'est pas un dictateur.

Cette valse doit bien évidemment se faire au mépris de toute considération pour la situation locale et ses complexités. En effet, en plaçant le sieur Kolingba au pouvoir, vous garantissez que le pouvoir sera noyauté par son ethnie, les Yakoma, et que l'administration subira une bonne vieille purge ethnique dès que les Gbaya reprendront la main après sa destitution.

Étape 4 : laisser faire les locaux…

…en faisant mine de n'y être pour rien.

On est alors en 1993 et là, il n'y a plus rien d'autre à faire que de regarder le tout exploser. Au stade où ils en sont, ils n'ont plus besoin de vous. La situation économique est catastrophique, environ un tiers de la population n'a absolument aucun revenu et les terres arables servent à produire des denrées qui n’intéressent que les Occidentaux (café, coton, huile de palme…), rendant ainsi la simple survie plus que difficile.

En conséquence de quoi, le moyen le plus simple pour manger est encore de piller les autres. Premièrement, ce ne sont tous que des salauds n'ayant pas la même langue / religion / ethnie (vous pouvez être fier de vous, très beau travail !), deuxièmement il est beaucoup plus facile de s'armer que de trouver à manger : les diamants se ramassent à la pelle et on vous les échangera volontiers contre des Kalachnikov. Mais pas contre du millet.

Dès lors, la moindre embrouille donne lieu à la constitution d'une milice. Voyez plutôt. En 2002, des bergers soudanais de l'ethnie Tacha achètent un grand territoire au maire de Birao mais continuent à se faire enquiquiner par les autorités. En représailles, ils tuent le maire. Qui était de l'ethnie Gula. Alors les Gula décident d'aller massacrer les Tacha mais se trompent de cible et trucident des Imat. Les Tacha comprennent que la salve leur était destinée et décident d'attaquer les Gula mais tapent en fait sur les Runga, qui s'allient donc aux Gula. Vu que l'instruction est inexistante, que les routes aussi et que rien ne ressemble plus à un village de torchis qu'un autre village de torchis, ces confusions sont bien compréhensibles. Mais la milice Gula-Runga finit par se dissoudre quand les Gula négocient la paix avec le pouvoir central sans inviter les Runga. D'où la création de deux milices différentes en 2005, qui redeviendront alliées en 2011, considérant que le gouvernement les avait entubées toutes les deux.

C'est comme ça tous les jours et quand une milice signe des accords de paix avec le gouvernement, le gros de ses troupes fonde une nouvelle milice parce que c'est leur seul mode possible de subsistance. Au jour d'aujourd'hui — pour parler comme un journaliste — le président chrétien et gbaya a été chassé du pouvoir par le dirigeant d'une coalition de milices nordiques et musulmanes, qui les a dissoutes mais en fait elles ont décidé que non, en conséquence de quoi les populations chrétiennes et animistes ont créé des milices pour lutter contre les premières : nous avons donc un gouvernement en butte avec deux factions de milices mues essentiellement par la pauvreté, dont les activités quotidiennes consistent surtout à massacrer des civils appartenant à l'ethnie ou à la religion des factions adverses.

Bien joué !

Bravo, joueur 1, vous remportez la partie : après trois bons siècles de préparation, votre génocide a enfin démarré et vous pouvez savourer le plaisir du travail bien fait. Revenez dans quelques années lorsque les morts se chiffreront en centaines de milliers !

Comment ? Vous espériez faire des millions comme au Congo ? Ah mais, je suis désolé mais, en choisissant de jouer avec un pays qui ne compte que quatre millions d'habitants, vous ne pouviez pas espérer un miracle !