[Brève] La RGPP pour les non fonctionnaires
Par Dominus Carnufex le 31 juillet 2014, 01:00 - Lien permanent
Je ne doute pas un seul instant que vous ayez déjà entendu parler de la Révision Générale des Politiques Publiques, plus connue sous l'acronyme RGPP. Elle a été mise en place dès les premiers mois du règne de Sarkozy et son action la plus médiatisée, celle qui est à l'origine de bien des grèves de la Fonction Publique, a été la volonté annoncée de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, pour des considérations bassement budgétaires. Ceux d'entre vous qui suivent l'actualité politique ont sans doute entendu parler de la Modernisation de l'Action Publique ou MAP : c'est la RGPP mais on a changé son nom en 2012 pour faire croire que les socialistes ne poursuivent pas la politique de l'UMP.
Alors qu'es acò la RGPP ? Si je vous épargne le jargon de technocrate maniant habilement la xyloglossie, c'est une politique générale au niveau de l'ensemble de l'appareil d'État visant à réorganiser celui-ci de façon à ce qu'il coûte moins cher. Je n'ai pas pour ambition de vous expliquer dans le détail tous les tenants et les aboutissants ni toutes les actions mises en œuvre dans le cadre de cette réforme. Cependant, j'ai bien conscience que pour quelqu'un qui ne dispose que d'un regard extérieur sur ces évolutions, elles puissent paraître quelque peu abstruses. Alors, comme un exemple vaut mieux qu'un long discours, laissez-moi vous montrer ce que fait la RGPP dans la vraie vie.
Et pour cela, je vais vous parler de l'administration des archives, puisque c'est un sujet que je maîtrise bien.
Avant
Au niveau de l'État — les collectivités territoriales ne sont pas concernées par mon exemple — avant l'arrivée de la RGPP, voici comment, schématiquement, était organisée l'administration des archives. Au sommet, il y avait le Ministère de la Culture (MCC). Celui-ci était divisé en six directions, correspondant chacune à un des grands domaines de la culture (archives, musées, monuments historiques, spectacle vivant, etc.), trois délégations, dont la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France dont je vous ai déjà parlé, le CNC et un secrétariat général chargé de coordonner le tout.
Parmi ces directions, celle qui nous intéresse est la Direction des Archives de France (DAF) : retenez bien les sigles, il va y en avoir un certain nombre. Cette direction était divisée en neuf entités de niveau inférieur, parmi lesquelles l'Inspection Générale des Archives de France (IGAF) et la Délégation aux Célébrations Nationales (DCN).
Chacun de ces services avait son lot de fonctionnaires, auxquels il fallait ajouter l'équipe de direction et, surtout, le plus gros de l'effectif : les conservateurs d'archives, mis à disposition des départements et de quelques communes pour occuper des postes de directeur ou directeur-adjoint de services d'archives.
Ce n'est peut-être pas très clair. Alors voilà un petit schéma pour bien comprendre.

Après
Qu'a donc fait la RGPP après ça ? Pour commencer, elle a regroupé les différentes directions et délégations du Ministère de la Culture au sein de trois directions générales. Entendons-nous bien : l'ensemble de l'administration des services pré-existants a été conservé, on a seulement créé un échelon de direction de plus, avec son personnel propre. Des ces trois directions générales, une seule nous intéresse, la Direction Générale des Patrimoines (DGP). Cette seule direction est composée de quatre services, hérités de trois des anciennes directions du MCC, ainsi que de neuf départements transversaux et de l'Inspection des Patrimoines (IdP).
La DAF s'est transformée en un des quatre services dont je viens de parler, le Service Interministériel des Archives de France (SIAF). Qu'a-t-il d'interministériel ? Je cherche encore : depuis la Révolution, les ministères chargés de la guerre et des affaires étrangères ont leurs propres services des archives qui n'étaient pas soumis à la DAF ; il ne sont pas soumis non plus au SIAF.
Le SIAF est lui-même réorganisé. La DCN est renommée mais reste à sa place. Quatre des entités qui dépendaient directement de la DAF sont placées sous la tutelle de deux sous-directions créées pour l'occasion. L'IGAF est fondue dans l'IdP et les trois entités restantes sont fondues avec leurs équivalents des anciennes DMF et DAPA pour former certains des neufs départements transversaux de la DGP dont j'ai parlé un peu plus haut.
Enfin, on supprime des doublons donc du personnel, me direz-vous ? Rien n'est moins sûr. L'IdP est en réalité composé de six collèges, un par spécialité de conservateurs du patrimoine : les inspections pré-existantes sont toujours en action, c'est seulement qu'elles n'apparaissent plus en tant que telles sur l'organigramme, remplacées par une inspection prétendument généraliste. Je n'ai pas pu vérifier pour les autres mais il semble presque certain qu'il s'y est produit la même chose : le département des publics de feu la DAF est désormais noyé dans le département des publics de la DGP mais je doute que les agents aient changé, tant le public d'un centre d'archives n'a rien à voir avec celui d'un musée ou d'un chantier de fouilles.
Où se fait donc la réduction du nombre d'agents ? Eh bien tout simplement au niveau des conservateurs d'archives : cela fait plusieurs années que l'on n'en recrute presque plus et, de plus en plus, les postes de directeur-adjoint — qui servaient traditionnellement à former les jeunes conservateurs — sont rendus à la fonction publique territoriale.
Faisons un nouveau schéma pour se rendre compte de la différence.

Conclusion
Comment pourrait-on résumer cette évolution ?
Déjà, contrairement à ce que clament les Gouvernements successifs, il n'y a pas de simplification de l'appareil d'État, bien au contraire : on a créé de nouveaux échelons fourre-tout mais les administrations d'avant la RGPP sont toujours là, juste plus profond dans l'organigramme. C'est très net pour les archives : un service aussi vital que le bureau du réseau se trouve quatre niveaux hiérarchiques en-dessous du ministre, alors qu'il ne s'en trouvait qu'à deux niveaux avant la RGPP.
Ensuite, ces nouveaux échelons créent des postes en haut de la hiérarchie et on compense en en supprimant beaucoup en bas de la hiérarchie, en l'occurrence chez les conservateurs d'archives. Quel est l'intérêt d'une telle manœuvre ? Si vous vous souvenez de mon article sur la fonction publique, je vous avais expliqué que les fonctionnaires sont recrutés de trois manières différentes : comme dans le privé pour les catégorie C, sur concours pour les A et B, à la discrétion du ministre (alias, chez les copains) pour les hauts fonctionnaires. Or, dans la Fonction Publique d'État, il y a 77 % de catégorie A et B (contre 23 % dans la Fonction Publique Territoriale) : en créant des directions générales et autres sous-directions et en supprimant des fonctionnaires de base, l'État remplace un personnel choisi par concours, sur des critères à peu près équitables, par un personnel choisi en raison de sa fidélité au pouvoir en place.
Vous croyez que j'exagère ? Savez-vous quels ont été les directeurs généraux des patrimoines en place depuis la création de la DGP ? Tout d'abord Philippe Bélaval, conseiller d'État et ancien de l'ENA, qui fut — il est vrai — en son temps Directeur des Archives de France. Il a quitté son poste en juillet 2012 — comme cette date est étonnante… — pour être remplacé par Vincent Berjot : sa parfaite connaissance du monde des musées, archives et monuments historiques lui vient de son DEA d'économie, de sa longue carrière d'économiste au Ministère de l'Économie et des Finances et de son dernier poste en date comme Directeur des finances de la Mairie de Paris. Hrum…
Voilà, je n'ai bien sûr pas pu faire le tour de la question mais j'espère que vous comprendrez un peu mieux les enjeux de cette réforme de grande ampleur et ses effets néfastes sur le service public rendu aux usagers : vous.
Commentaires
À bien y réfléchir, la création des COMUE dans l'enseignement supérieur participe du même phénomène...