Les mondes de l'imaginaire en littérature ou au cinéma sont difficiles à appréhender. On parle de fantastique, de fantasy, de SF ou de merveilleux mais que signifient ces mots exactement ? Il n'est pas rare que l'on confonde fantastique et merveilleux, tous les profs de français vous le diront. De même, la fantasy et la SF semblent si similaires au néophyte que la plupart des librairies ne prennent pas la peine de les séparer. Alors, si on essayait de mettre un peu d'ordre dans tout ça ?

Ça se mélange, ma bonne dame…

Les principaux genres de l'imaginaire ne sont pas homogènes et leurs différentes variantes peuvent se rapprocher les unes des autres, ce qui rend la tâche de les distinguer assez difficile.

Prenons la fantasy. Le maître incontesté du domaine n'est autre que Tolkien, dont l'univers a inspiré entre autres Donjon et Dragon et la série des Annales du Disque-Monde. C'est le même genre d'univers, sous une forme plus épurée, que l'on retrouve dans Le Trône de Fer. En revanche, bien qu'appartenant clairement à la fantasy, les univers de Harry Potter ou de Conan le barbare en sont très différents.

On peut faire le même constat pour la science-fiction : il y a peu en commun entre les univers de SF classique comme Dune ou la série des Robots d'Azimov, d'une part, et une uchronie comme Ceux qui sauront de Pierre Bordage, d'autre part.

Quant au fantastique, s'il est relativement homogène, d'Edgard Poe à Lovecraft en passant par Théophile Gautier, il est parfois difficile de le distinguer d'une œuvre de fantasy qui se veut ancrée dans l'histoire, comme Percy Jackson, ou d'un conte de fée un peu ambigu, comme Peter Pan.

La réalité, cette grande inconnue

Pour tenter d'apporter une définition sans ambiguïté à ces différents genres, il faut tout d'abord se poser la question de ce qui définit non la réalité avec un grand R mais une réalité. Qu'est-ce qui permet de dire qu'un récit, même imaginaire, se passe dans notre réalité ou dans une réalité alternative ?

À mon sens, une réalité se compose de deux éléments : un paradigme et une temporalité. Atchoum.

J'aurais dû dire 1890. Je savais que j'aurais dû !


Le paradigme, ce sont les règles de base qui régissent le monde, lui donnent sa cohérence et servent de cadre à ce que les personnages et les sociétés de ce monde peuvent et ne peuvent pas faire. Ainsi, décréter l'existence de dragons revient à créer un paradigme différent de celui de notre réalité. L'exemple le plus frappant est la magie : une réalité dont le paradigme inclut la magie n'est pas notre réalité. Harry Potter, bien que fermement ancré dans les années 1990, se déroule dans une réalité alternative.

La temporalité, c'est un ensemble d'événements marquants qui façonnent le monde. Des événements mineurs n'affectant que quelques personnes ne constituent pas une temporalité alternative : c'est le principe du polar, par exemple. À quelques rares exceptions près, les meurtres et enquêtes, les personnages, tout est fictif et malgré tout, on est bien dans notre réalité : que le commissaire Adamsberg n'existe pas ne change strictement rien à la marche du monde. En revanche, une œuvre où la roue serait inconnue se rattacherait à une temporalité alternative. Sauf si vous écrivez un drame intimiste sur les conflits de génération dans l'une des dernières tribus amazonienne à ne pas connaître cet outil merveilleux, bien sûr.

Essai de définitions

Une fois ces définitions posées, il devient assez simple de définir les grands genres de l'imaginaire. Dans la fantasy et le merveilleux, le paradigme est différent du nôtre. Dans la SF, le paradigme est le même mais la temporalité est différente. Dans le fantastique, il y a ambiguïté volontaire quant à savoir si le paradigme est oui ou non le même.


Explicitons un peu.

Dans une œuvre de SF, le paradigme reste identique au nôtre, même lorsque le monde est extrêmement futuriste. Des robots dotés d'une forme de conscience, comme dans Azimov ou dans Matrix, des formes de vie extraterrestre intelligente, des voyages à une vitesse approchant celle de la lumière : tout cela est théoriquement possible sans avoir à renier ou transformer les règles de base de la physique. Ce qui change, c'est la temporalité : on va supposer que plusieurs siècle après notre ère, les progrès de la technologie permettront le voyage dans le temps (Terminator, Retour vers le futur) ou que l'analyse rigoureuse de l'histoire autorisera à faire des prédictions sur l'avenir (Fondation).

C'est pour cette raison que l'uchronie aussi fait partie de la SF. On suppose qu'au XIXe siècle les monarchies absolutistes ont réussi à reprendre le dessus sur les mouvements révolutionnaires et voici Ceux qui sauront : les lois physiques de base sont les mêmes que chez nous mais le cours du temps s'est déroulé autrement. De même, l'esthétique steampunk correspond pleinement à cette définition : comment le monde aurait-il évolué si l'on n'avait su quelle utilité donner au pétrole et à l'électricité ?


Dans la fantasy et le merveilleux, au contraire, la temporalité peut se trouver être globalement la même (Harry Potter) mais il y a quelque chose de différent et ce de manière assumée dans les règles physiques de base, dans les fondements même de la réalité. Ainsi, dans Le Seigneur des Anneaux, les pouvoirs plus ou moins magiques de Gandalf ou la possibilité de créer une espèce nouvelle (les orcs) en torturant des membres d'une autre (les elfes) sont clairement en opposition avec ce que l'on sait du fonctionnement de notre monde.

Je ne vais pas épiloguer là-dessus, la question est plutôt : comment distinguer merveilleux et fantasy ? C'est une entreprise assez ardue, en vérité. On retrouve les mêmes éléments de base, comme la magie ou les créatures surnaturelles. Ce qui change, c'est la motivation derrière l'œuvre. En effet, on associe souvent le merveilleux à l'enfance, parce que contrairement à la fantasy, il a vocation à transmettre un message éducatif : le récit merveilleux est un outil d'enseignement. Voilà pourquoi un conte ou une fable se rattache nécessairement au merveilleux, personne n'aurait l'idée de les qualifier de fantasy.

C'est d'autant plus intéressant qu'une même réalité peut donner naissance à une œuvre de fantasy et à une œuvre de merveilleux, selon comment le récit est traité. Par exemple, Bilbo le Hobbit — je parle bien sûr du livre, pas de l'indigence cinématographique qui en a usurpé le nom — est un récit initiatique destiné aux enfants, ce qui le rattache au merveilleux, tandis que Le Seigneur des Anneaux, dont cet aspect initiatique est absent, est une œuvre phare de la fantasy. De même, les films du Monde de Narnia sont des œuvres de fantasy assez banales. Les livres, eux, sont à ranger dans le merveilleux, parce qu'ils ont pour but avoué d'enseigner le christianisme sous une forme plus accessible aux jeunes esprits, allant même jusqu'à se payer le luxe de faire ce que les féministes modernes — qui se sentent obligées de parler anglais, alors que bordel ! Olympe de Gouges, c'était pas une de ces putasses d'Amerloques — appellent du slut shaming : ceux qui ont lu la fin, souvenez-vous de ce qu'il advient de Susan…

Tu la sens ma grosse allégorie christique ? Devinez qui est Marie-Madeleine ?

Quant au fantastique, c'est justement quand il y a un doute : la réalité est-elle oui ou non la même ? Aussi bien Lovecraft que Théophile Gautier ou Maupassant laissent planer le doute, quant à savoir si les événements décrits ont réellement eu lieu ou seulement dans l'esprit du personnage. Il y a souvent un petit détail, à la fin, qui laisse à penser que c'était vrai mais, le personnage étant souvent malade ou bien endormi voire mort, on ne peut exclure une autre explication.

Pour finir

Je conclurai en disant que ces définitions n'ont rien d'une vérité absolue : c'est un modèle auquel je suis parvenu après plusieurs années de réflexion sur le sujet et elles n'engagent que moi.

Plus encore, le rattachement d'une œuvre à un genre est dépendante du contexte de lecture. Ainsi, quand on parle de la fantasy du début du siècle, avec les Conan et autre Cthulhu, il faut garder à l'esprit qu'à l'époque bon nombre de découvertes majeures de la science étaient très nouvelles et encore mal comprises : la sélection naturelle de Darwin n'est vraiment acceptée que dans les années 1930, la tectonique des plaques est présentée en 1915, etc. Ce qui signifie que pour des auteurs comme Robert E. Howard, Lovecraft ou Tolkien, nés au tournant du XXe siècle, il n'était peut-être pas scientifiquement absurde que la magie ait pu exister il y a dix mille ans et disparaître ensuite (Conan, Le SdA) ou que des créatures extraterrestres surpuissantes aient habité la terre il y a des millions d'années et ne soient restées dans la mémoire humaine que comme des dieux (le Mythe de Cthulhu). En clair, ce que nous qualifions indubitablement comme de la fantasy pouvait éventuellement être considéré plutôt comme de la SF à l'époque de sa sortie.