Pour ceux qui aiment la lecture, le choix est souvent cornélien, car c'est inutile de le nier, l'achat compulsif de livres finit souvent par revenir cher (sauf si vous utilisez le système d'échange, comme celui qui fait fureur aux USA, et permet d'obtenir un bon nombre de bouquins quasi neufs sans avoir besoin de réquisitionner un camion Amazon entier). L'emprunt d'ouvrages à la bibliothèque est moins pesant, car dès lors que vous avez terminé, vous pouvez emprunter la collection en 18 volumes de l'histoire du design informatique qui vous faisait de l’œil, et recommencer le processus autant de fois que voulu. L'inconvénient, c'est que si comme moi, vous préférez posséder le livre (que ce soit pour l'annoter ou pour être sûr de pouvoir le relire quand l'envie vous prend), le système bibliothèque devient inadapté.

Pour vous aider dans votre futur achat (ou emprunt) de livre, je vous présente aujourd'hui quelques-uns de ceux qui m'ont particulièrement marquée. Loin d'être exhaustive, cette mini présentation devrait vous éclairer sur le type de livre auquel vous avez affaire, et vous mettre (ou pas) l'eau à la bouche. Il est bien évident que les sentiments et les couleurs ne se discutent pas. C'est pourquoi j'ai pris le parti de présenter des ouvrages plutôt unanimement reconnus, au lieu d'originalités littéraires, mais ne vous y trompez pas : ce sont tous des livres de qualité, dont le style, j'espère, vous plaira.

Pourquoi est-ce que je lis… Le singe en nous, de Frans de Waal ?

La couverture annonce le ton : pas si scolaire que ça mais indiscutablement éclairant sur notre nature.

Bon, pour ne rien vous cacher, c'est l'un de mes livres fétiches, par un auteur dont j'achète tous les livres les yeux fermés. Il y en a peu, des auteurs comme ça, mais certains valent le coup. Frans de Waal est de ceux-là, pour peu que les mystères du comportement animal (humains compris) vous intéressent un tant soit peu.

Primatologue reconnu, enseignant à Emory (Atlanta) et récipiendaire du prix Ig Nobel d'anatomie* en 2012, Frans de Waal travaille depuis plus d'une vingtaine d'années sur les grands singes, notamment les bonobos. Il a publié une dizaine d'ouvrages tirés de ses travaux, dont certains ont durablement façonné le paysage de la psychologie comportementaliste, comme Good Natured : The Origins of Right and Wrong in Humans and other animals, paru en 1996.

Le livre Le singe en nous se permet de faire le lien entre les hommes et les bonobos, dont nombre de comportements et émotions sont similaires. L'analyse repose sur des faits et des expériences de terrain, qui dessinent peu à peu une vérité que peu de gens sont prêts à admettre : nous avons beaucoup plus en commun que ce que nous voulons bien croire, à commencer par notre faculté d'empathie, un des ciments de l'humanité. Passionnant mais surtout drôlement instructif, ce livre veut rappeler que nous faisons partie intégrante de la nature et qu'à ce titre, il est bien plus utile d'étudier notre environnement afin d'éclairer notre société, plutôt que de chercher à nous en exclure par tous les moyens.

Le livre se lit très facilement, car sans tomber dans la vulgarisation scientifique à outrance, il dresse un portrait serti de détails minutieux, mais n'oublie jamais que la plupart des lecteurs n'ont aucune base en éthologie. C'est donc dans un langage clair, précis mais pas pompeux, que l'auteur essaye de communiquer le fil rouge de toute sa carrière : son émerveillement devant le panel d'intelligences et d'émotions que la science a mesurées depuis le premier singe étudié, à l'époque victorienne.


Le singe en nous, Frans de Waal chez Pluriel, 297 pages, 9 euros.

Se rapproche de : L'encyclopédie du savoir relatif et absolu, de Bernard Werber, le côté étayé et spécialisé en plus.

Pourquoi est-ce que je lis… Jon Shannow, de David Gemmell ?

Comme toujours dans l'univers fantasy et plus particulièrement les ouvrages publiés chez Bragelonne, on a droit à une couverture badass. Ou juste trop colorée, au choix.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore David Gemmell, c'est un auteur reconnu au sein de la littérature fantasy, né en 1948 en Angleterre et mort prématurément à 57 ans de complications cardiaques. Son style fait figure d'autorité dans le milieu, ce qui explique qu'un Prix Gemmell ait vu le jour en 2009, récompense décernée par les lecteurs du monde entier à un tiercé de romans de fantasy de l'année précédente.

Gemmell a eu le temps d'écrire pas loin de 46 ouvrages avant sa mort, dont le cycle Jon Shannow composé de Le loup dans l'ombre, L'ultime sentinelle et enfin Pierre de sang. Ici, je vous parlerai de la trilogie dans son intégralité. Avis aux amateurs de gros pavés (735 pages) !

Si j'ai décidé de vous parler de cette trilogie plutôt que de Légende et son charismatique Druss ou de Waylander, l'homme qui marcha sur sa propre tombe, c'est parce que je considère que Jon Shannow n'a pas eu le même écho que ses grands frères d'encre et de papier.

Le récit prend place dans un univers post-apocalyptique où la loi du plus fort tient lieu de démocratie. Le héros, qui donne son nom au livre, est l'archétype du solitaire, dont le but personnel reste obscur à quiconque tente de l'approcher. Mais alors que le chef d'une armée de fanatiques religieux nommé Abaddon lui voue une haine incompréhensible, la seule femme qui compte aux yeux de Shannow est enlevée.

Bien évidemment, dit comme ça, ça fait très bateau comme scénario. Mais pour avoir lu les trois quarts de la bibliographie du monsieur, je peux vous assurer que la complexité du scénario et les qualités d'écriture rendent justice à sa réputation de grand conteur. Le tour de force de ce roman est d'avoir su recréer un univers en intégrant des éléments indiscutablement contemporains, tout en restant relativement plausible. Et puisqu'il vaut mieux parler des sujets qui fâchent, histoire de vous éviter les mauvaises surprises, bien sûr qu'il y a de la romance. Mais si Gemmell est connu pour ses fresques sentimentales à la dignité d'un autre temps, où la chevalerie n'est jamais très éloignée, il reste une part d'animalité dans chacun de ses héros, qui explique que l'on n'ait pas tellement le sentiment d'avoir affaire à une histoire à l'eau de rose niaise au possible. Parfois, ce sont même ses lecteurs qui crient au scandale quand un de leur personnage préféré se conduit comme un moins que rien ! Une manière de compenser l'aura de perfection qui pare parfois ses héros, supposerons-nous.

Quant à l'intrigue, mélange de sacrifices humains, de sectes, de magie sombre, de mythe et d'amitié, je ne vous en dirai pas plus, si ce n'est une dernière phrase : quand bien même les Pierres ivres de sang, quand bien même les dévoreurs, quand bien même Abaddon, ses sbires et la bêtise des hommes, Shannow peut bien traverser les espaces-temps et les territoires inconnus, ce ne sera pas pire que l'Enfer, de toute façon.


Jon Shannow : l'intégrale de la Trilogie, David Gemmell chez Bragelonne, 735 pages, 10 euros.

Se rapproche de : Les Chroniques de Krondor, de Raymond Elias Feist.

Pourquoi est-ce que je lis… Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro ?

Ceci est la couverture de la publication d'origine, anglaise, dont on a tiré un film avec Carey Mulligan, Andrew Garfield et Keira Knightley. Si vous êtes curieux, le film s'en sort bizarrement bien malgré des acteurs pas toujours convaincants.

J'ai découvert Kazuo Ishiguro en Terminale, alors qu'absorbée que j'étais par les graffitis dans la marge que j'adorais collectionner – bien plus que les fiches de révisions, mea culpa — la prof d'anglais que j'avais à l'époque crut à juste titre qu'il serait bon que nous ayons des textes à proposer lors de l'oral en juin. C'est ainsi qu'un polycopié de la page 116 d'un livre nommé Never Let Me Go s'échoua sur ma table.

L'extrait en lui-même ne valait rien, au sens où l'intrigue était à peu près aussi épaisse qu'une feuille de riz dans un boui-boui « asiatique » — le genre qui propose des nems, de la soupe pho et des sushis sur la même assiette, HÉRÉSIE ! Mais je m'égare, pardon. Il me fallut lire le livre en entier pour comprendre à quel point Auprès de moi toujours n'est pas qu'une simple histoire d'amitié qui tourne au vinaigre, malgré l'apparente facilité de scénario proposé par l'auteur.

Voici un court synopsis de ce roman d'anticipation prenant place en Angleterre, quelque part vers 2150 :

Kathie a rencontré ses amis d'enfance, Ruth et Tommy, au centre de Hailsham. Dans l'enceinte de l'établissement, les enfants sont choyés, éduqués et, surtout, convaincus que la priorité absolue est de les garder en bonne santé. Ils savent en effet qu'une fois parvenus à l'âge adulte, ils deviendront des patients ou des accompagnateurs. Mais que désignent ces mots ? Bien plus de douleur et de non-dits que ne laisse paraître l'innocence des enfants de Hailsham.

L'ouvrage raconte ainsi comment Kathie, accompagnatrice, retrouve Ruth et Tommy après les avoir perdus de vue pendant des années. Mais ne vous y trompez pas. Dans cette utopie, le progrès a créé l'horreur et la déshumanisation. Car si les enfants sont « protégés » du monde extérieur afin qu'il « ne leur arrive rien », la vérité est implacable : tous vont mourir. Avant même d'avoir eu le temps de rêver à un futur, un pied dans la vie d'adulte.

La lecture de ce livre m'a un peu choquée. Non parce qu'il est rempli d'hémoglobine et de scènes tortueuses et malsaines mais parce qu'on ne s'y attend tout simplement pas. Vous croyez avoir affaire à une banale histoire d'amours frustrées et d'amitié renouée pleine de repentir, alors qu'il en est tout autrement. Le centre de Hailsham n'est qu'une immense boucherie, un élevage industriel, ni plus ni moins. La vérité transparaît petit à petit, par touches implicites. Mais le plus révoltant n'est pas tant le traitement réservé aux enfants de ce monde mais plutôt la façon dont l'auteur dépeint ça : avec élégance, nostalgie, retenue. Et si Kathie et les autres savent le sort funeste qu'ils connaîtront, la morale de l'histoire ne sera jamais « rebelle-toi » mais « tout le monde disparaît un jour ou l'autre : le tout est de ne jamais les oublier et de vivre sa vie en conséquence ».

Lire ce livre est comme passer une nuit blanche en plein mois d'automne. Il fait gris, un peu froid, et la nuit se décolore peu à peu. Ce n'est certainement pas un livre à lire si vous avez déjà le vague à l'âme, car il risquerait de prolonger votre morosité, mais le message qu'il a à transmettre est pertinent, dans une société telle que la nôtre, où il est surtout question de résultats, et très peu de patience. Gattaca avait déjà ouvert la voie sur le sujet, mettant le spectateur mal à l'aise en lui demandant jusqu'à quel point la vie humaine est monnayable. Ce livre propose une vision des choses encore moins optimiste, mais n'en demeure pas moins une source d'inspiration potentielle.


Auprès de moi toujours, Kazuo Ishiguro chez Folio, 448 pages, 8,50 euros.

Se rapproche de : Mon bel oranger, de José Mauro de Vasconcelos, la violence brute en moins, la réflexion plus terre à terre en plus.



Cet article se termine ici. J'espère que vous aurez plaisir à lire ces livres, et qu'éventuellement, cela vous permettra d'en découvrir d'autres, car la lecture et la curiosité sont le bouclier contre la médiocrité.

« Méfie toi de la médiocrité, c’est la moisissure de l’esprit, il faut toujours l’éviter, sinon elle s’insinue partout », comme dirait une certaine Docteur Claire**




* Le prix Ig Nobel d'anatomie récompense les études les plus insolites mais néanmoins sérieuses. En l'occurrence, une étude sur les grands singes démontrant que les chimpanzés sont capables de reconnaître leurs congénères rien qu'en regardant leur postérieur. (Nojoke)

** Personnage fictif du long métrage L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet.