Medieval science, bitch !
Par Dominus Carnufex le 16 mars 2015, 01:00 - Lien permanent
Cela fait longtemps… trop longtemps… que la Gatling n'a pas chauffé en ces lieux. Alors allons-y… Sortons ma chère amie, graissons-là, passons-lui son écharpe de balles et sus à l'ennemi ! Quel est-il cette fois-ci ? Un gros morceau. Un résistant. Le genre steak de cheval trois fois trop cuit et longuement passé sous un rouleau compresseur. On va parler de la science au Moyen-Âge et à l'Époque Moderne.
J'entends trop souvent dire que la science a régressé par rapport à l'Antiquité, que les savants de la Renaissance ont dû tout redécouvrir. Que l'Église, cette salope, faisait rien qu'à brûler les gentils scientifiques ouverts d'esprit. Cela a trop duré. Je vais vous expliquer, moi, ce qui s'est passé en ces temps-là. Je vais vous montrer pourquoi on croit voir une régression du savoir pendant un millénaire.
Mais je ne vais pas vous parler de toute la science, non ! Ce serait trop long… Je vais me concentrer sur l'astronomie, car les grands noms de cette discipline vous sont sans doute connus : Kepler, Newton, Galilée, Copernic, etc. Vous en avez tous entendu parler. Venez à présent découvrir leur face cachée…
Parlez plus fort, je vous entends mal !
La plupart des textes antiques traitant d'astronomie ont été écrits en grec, en particulier le célèbre Almageste de Ptolémée. Celui-ci réunit ce qui se faisait de meilleur à l'époque de sa rédaction et présente quelques synthèses personnelles novatrices, comme le système géocentrique qui restera largement en vigueur jusque dans le courant du XVIIIe siècle.
Pendant très longtemps, cela n'a posé aucun problème : la quasi-totalité des Romains ayant reçu une instruction parlaient grec. Cependant, à partir du IIIe siècle et à mesure que l'État romain partait en déliquescence, il devint de plus en plus difficile de faire venir des maîtres grecs en Occident et la connaissance de la langue se perdit peu à peu. C'est pourquoi, au IVe et surtout au Ve siècle, on voit fleurir des résumés en latin des principales œuvres grecques, afin que celles-ci restent accessibles à l'Ouest de l'Adriatique.
Dans le domaine qui nous intéresse, on retiendra surtout le De Nuptiis de Martianus Capella. D'ordinaire on francise les noms d'auteurs latins mais lui, curieusement, personne ne songe à l'appeler Martien Chapelle… Cet ouvrage a profondément marqué l'enseignement au Moyen-Âge, car c'est lui qui fixe la liste canonique des sept arts libéraux censés représenter l'ensemble du savoir intellectuel, par opposition à des savoirs « techniques » comme le droit ou la médecine. On y trouve — dans l'ordre — la grammaire, l'art de parler sans faire de faute, la dialectique, l'art de construire un raisonnement juste, la rhétorique, l'art de convaincre et persuader, qui constituent le trivium, l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique ou plus exactement l'harmonie, qui constituent le quadrivium. Celui-ci correspond en fait à l'ensemble des disciplines faisant usage des mathématiques.
Au livre VIII du De Nuptiis, on trouve le chapitre sur l'astronomie, qui est un résumé à la fois de l'Almageste de Ptolémée et des ouvrages d'Ératosthène. Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce monsieur, c'est lui qui a réalisé la première mesure scientifique de la circonférence de la Terre. Un exemple parmi de nombreux autres, Grégoire de Tours au VIe siècle a appris l'astronomie avec Martianus Capella.
La période qui s'ensuit est fortement perturbée et l'enseignement s'en ressent. Tout d'abord, à la suite de la prise de pouvoir par les peuples germaniques en Occident, la fonction publique romaine (le cursus honorum) disparaît totalement au VIe siècle, et avec elle, c'est l'enseignement à la romaine qui se fait la malle. Au VIIe siècle, on estime que seuls les principaux monastères continuent à dispenser un enseignement même rudimentaire : bon nombre de rois des siècles qui suivent ne savent ni lire ni écrire. Les ouvrages antiques ne sont plus conservés que dans quelques communautés religieuses et personne d'autre n'y a accès.
Ce qui cause un désastre monumental à partir de la fin du VIIIe siècle et surtout aux IXe et Xe siècles. En effet, cette période est marquée par de nombreux raids des Sarrasins, des Vikings et des Magyars, qui ont pour caractéristique commune d'affectionner les monastères, leurs nombreux objets en or et leurs bibliothèques bien garnies idéales pour démarrer un barbecue. Les moines font leur possible pour sauver le savoir dont ils sont les dépositaires ; mais soyons clairs, quand l'annonce arrive que Thrød à la Hache Velue sera là d'ici demain, on n'a pas le temps de déplacer une bibliothèque entière. Alors on emporte le maximum de savoir en un minimum de place, ce qui a largement contribué à faire disparaître ce qui pouvait rester des sommes colossales de Pline, Ptolémée et autres Tite-Live, au profit de leurs résumés beaucoup plus transportables.

Bon, soyons justes, tout n'a pas disparu à cette occasion. Charlemagne, dès la fin du VIIIe siècle, avait entamé un mouvement de réforme de l'enseignement que l'on a coutume d'appeler la renaissance carolingienne. Celle-ci consistait, d'une part, à obliger tous les évêques à disposer d'une école à proximité de leur cathédrale pour fournir aux clercs séculiers un enseignement aussi correct que celui des moines, et d'autre part, à ce que toutes ces écoles enseignent la même chose, à savoir une version un peu rénovée des arts libéraux. De cette manière, l'enseignement a perduré sans interruption tout le long de cette période de troubles et de nombreux ouvrages antiques ont été préservés. Il n'en reste pas moins que nous avons perdu des pans entiers des Lettres à Lucilius de Sénèque ou du Ab Urbe condita de Tite-Live et que nous n'en connaissons le contenu que grâce au travail de leurs abréviateurs.
Ailleurs, la vie continue. En effet, si vous avez écouté en cours d'histoire au collège, vous savez que l'Empire romain s'est scindé en un Empire d'Occident, qui s'est éteint d'une longue maladie en 476, et un Empire d'Orient, qui — tel un pokemon — a évolué en Empire byzantin après la mort de son frère. Et les Byzantins ont un avantage certain pour lire Ptolémée, c'est qu'ils sont Grecs, alors parler grec ne leur pose pas spécialement de problème. Ce qui leur a permis de conserver une large bibliothèque d'ouvrages grecs antiques pendant ces siècles douloureux pour l'Occident.
À partir du IXe siècle, l'Empire musulman a atteint sa forme à peu près définitive après avoir tabassé une bonne partie de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et peut donc se consacrer à des activités un peu plus constructives que l'expansion territoriale. Et c'est tout naturellement qu'ils se tournent vers les ouvrages grecs antiques, et dans une moindre mesure vers les ouvrages indiens et perses, pour étudier l'astronomie : ceux-ci représentent le summum de la connaissance sur le sujet, et les musulmans ont un très grand besoin de cette science, notamment pour calculer l'horaire des cinq prières quotidiennes et les dates du ramadan. La période allant du IXe au XIe siècle connaît un bouillonnement intellectuel dans les pays musulmans qui fait considérablement avancer les mathématiques et par corollaire l'astronomie.
C'est pourquoi, dès la fin du Xe siècle, on voit des savants en Occident se rendre en Espagne pour obtenir des traductions d'ouvrages en arabe, eux-mêmes étant souvent des traductions d'ouvrages grecs antiques. Le plus connu à cette période est sans conteste Gerbert d'Aurillac, qui terminera sa vie comme Pape sous le nom de Sylvestre II, et qui a contribué à redynamiser l'enseignement du quadrivium par l'apport de nouvelles sources.
Mais l'explosion se fait réellement au XIIe siècle. La période est en effet particulièrement favorable en Occident. D'une part, après qu'en 955 l'empereur germanique Otton Ier a définitivement convaincu les Magyars de rester sagement en Hongrie à force de pédagogie et de pétage de dents, l'Occident ne connaît plus aucune incursion de peuples non chrétiens. Cela ne signifie pas que les guerres s'arrêtent, loin de là, mais quand on se tape sur le museau entre chrétiens, on ne touche pas aux monastères et aux cathédrales, et par conséquent aux écoles et aux bibliothèques. D'autre part, il y a une réelle amélioration des conditions climatiques, ce qui entraîne une période de prospérité et de démographie croissante. Bref, le terreau est idéal, il ne manque plus que les graines.
La première est une intensification du transfert de livres depuis les territoires musulmans et l'Empire byzantin vers l'Occident. Les conditions de vie plus agréables permettent à certains clercs occidentaux d'apprendre le grec et par conséquent de traduire enfin les ouvrages originaux en latin, les rendant ainsi accessibles à l'ensemble de leurs confrères. En outre, au XIe siècle, la Reconquista a fait de gros progrès en Espagne, qui est largement repassée sous domination chrétienne. Cela a pour effet que de nombreux savants de langue arabe se retrouvent à vivre en territoire chrétien, accélérant ainsi grandement le travail de traduction des ouvrages arabes.
La seconde est l'arrivée à maturité des écoles capitulaires. Vous vous souvenez de ces écoles que Charlemagne avait imposées dans l'entourage des évêques ? Eh bien, elles ont bien grandi, accueillant de plus en plus d'étudiants et travaillant de plus en plus en réseau à l'échelle de l'Europe. C'est ainsi qu'au XIIe siècle, les plus grandes d'entre elles vont prendre leur indépendance vis-à-vis des évêques en se mettant sous la protection directe de la Papauté : c'est la naissance de l'Université en Europe.
On a réuni là les trois facteurs qui vont causer une explosion du nombre de gens instruits et par conséquent de gens aptes à réfléchir sur les œuvres antiques et musulmanes, et à les améliorer. Dans le domaine de l'astronomie, cette explosion se manifeste par la publication en 1230 du De sphaera mundi écrit par Johannes de Sacrobosco, qui est un manuel de tout ce que les auteurs antiques ont écrit de meilleur sur le sujet.
Dans le titre de cet ouvrage, il y a un mot que vous avez dû reconnaître. Oui, sphère. On parle bien de la Terre, qui est ronde. Il est un mythe tenace, que je me dois de zigouiller sauvagement dès à présent : au Moyen-Âge, parmi les gens instruits, personne, et je dis bien personne, n'a jamais cru que la Terre était plate. Je ne dis pas pour les illettrés : de nos jours encore certains croient que la Terre est plate. Mais ceux qui avaient reçu une instruction savaient très bien que la Terre était ronde, puisque tous les ouvrages d'astronomie l'affirmaient. À vrai dire, la plupart d'entre eux devaient même connaître sa circonférence, puisque l'œuvre d'Ératosthène était résumée dans Martianus Capella.
Alors d'où vient cette idée ? Il faut savoir qu'au XIXe siècle, la bourgeoisie et l'Église se sont livré une guerre sans merci pour prendre le contrôle des esprits, ce qui passait par le contrôle de l'enseignement. C'est ainsi que se mit en place une campagne de dénigrement à l'égard de l'Église visant à faire accroire que, de tout temps, l'Église a été un frein à la découverte scientifique, donc que l'enseignement confessionnel ne peut être que nuisible. Dans le cas du mythe de la Terre Plate, les positivistes se sont largement appuyés sur une biographie romancée de Christophe Colomb, écrite en 1828 par Washington Irving, qui met en scène une frange religieuse opposée au projet au motif que la Terre serait plate, ce qui est bien sûr totalement fictionnel : au contraire, on sait désormais que si Christophe Colomb avait de nombreux détracteurs, c'est qu'il sous-estimait largement la distance à parcourir, laquelle était infaisable sans escale avec les moyens de l'époque.

La deuxième explosion a lieu au XVe siècle, due à deux événements presque concomitants. En 1450, un certain Gutenberg invente l'imprimerie. Dit comme ça, cela n'a l'air de rien. Mais il faut bien vous rendre compte que l'ensemble de la production manuscrite depuis la fin de l'Antiquité s'élevait à quelques centaines de milliers d'ouvrages, tandis que l'invention de Gutenberg a permis l'impression de plus de vingt millions d'ouvrages en cinquante ans. Puis encore cent cinquante à deux cent millions au cours du siècle suivant. En outre, du fait de son temps de production beaucoup plus bref, un ouvrage imprimé est largement moins cher qu'un manuscrit. L'imprimerie n'a pas vraiment augmenté le nombre d'ouvrages différents en circulation, elle a surtout rendu possible leur diffusion à mille fois plus de monde et à des classes sociales qui n'en avaient pas les moyens jusqu'alors.
Presque en même temps, en 1453, Constantinople finit par tomber définitivement aux mains des Ottomans, ce qui a pour conséquence que de nombreux savants byzantins viennent se réfugier en Europe, apportant une nouvelle couche d'ouvrages grecs et arabes. Certains historiens pensent que cette migration « de cerveaux » est l'élément déclencheur de la Renaissance en Italie.
Ce qu'il faut retenir de ce long exposé, c'est que tout au long du Moyen-Âge, les connaissances astronomiques de l'Antiquité n'ont jamais été perdues. Seulement, elles étaient à la disposition d'un très faible contingent, insuffisant pour créer une émulation intellectuelle, et c'est la diffusion massive de l'enseignement qui a permis le retour de la science occidentale sur le devant de la scène.
Je voudrais insister sur l'importance d'instruire le plus de gens possible pour faire avancer la science en prenant deux exemples. Le premier est celui de Johannes Kepler. Vous connaissez sans doute son nom, on en reparlera de toute façon plus tard dans cet article : si vous ignorez qui il est, retenez simplement que ses travaux furent le pré-requis indispensable à la découverte par Newton de la gravitation universelle. Le terme technique est « un monstre de la physique ». Ce brave homme était clairement mal parti dans la vie : né prématuré, il attrape la variole à trois ans, son père est un mercenaire toujours absent, sa mère est une mégère acariâtre élevée par une tante qui finira sur le bûcher pour sorcellerie, un de ses frères est épileptique… De nos jours, on appellerait cela un cas social. Mais il a eu la chance de pouvoir aller à l'école, et que ses parents lui donnent le goût de l'astronomie, sans quoi ce génie n'aurait sans doute jamais été révélé.

Le second est celui d'Émilie du Châtelet. Cette dame a vécu dans la première moitié du XVIIIe siècle, et contrairement à la plupart des jeunes filles de son temps, elle a reçu l'instruction habituellement réservée aux garçons. Par la suite, elle a été la maîtresse de Voltaire qui l'a encouragée à poursuivre ses études, ayant remarqué qu'elle était bien meilleure que lui en mathématiques et en physique, et qui l'a pistonnée auprès de maîtres réputés. C'est ainsi qu'elle est devenue une physicienne influente de son époque, son œuvre majeure étant une traduction des Principia Mathematica de Newton. En réalité, le terme de traduction n'est pas exact : elle a totalement réécrit les parties mathématiques pour utiliser la notation symbolique de Leibniz, encore en usage de nos jours, et elle a corrigé des pans entiers de l'œuvre, là où Newton s'était trompé. Là encore, rien de tout cela n'aurait été possible si elle n'avait pu accéder à une instruction poussée.
Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Il serait naïf de croire que le système géocentrique de Ptolémée est le pur produit de son génie isolé. Il repose évidemment sur des avancées personnelles mais également sur trois sources d'importance. En premier lieu, l'idée que les astres tournent autour de la Terre selon des mouvements circulaires remonte à l'école pythagoricienne de la fin du VIe siècle avant notre ère et sera vraiment formalisée par Aristote deux siècles plus tard. En second lieu, l'essentiel du modèle géocentrique est inventé par Apollonios de Perga (fin du -IIIe siècle) avec son système des épicycles, qui permet d'expliquer pourquoi certaines planètes semblent revenir en arrière avant de repartir dans le bon sens, et par Hipparque (-IIe siècle) qui mathématisa un peu mieux le bousin : à ce stade, le modèle géocentrique permet de prédire les éclipses, preuve qu'il n'était pas si mauvais. En troisième lieu, toute la science astronomique des Grecs s'appuie sur un nombre incalculable d'observations conservées dans des tables de grande ampleur. Une bonne partie de celles-ci provient des astronomes babyloniens qui accumulèrent des observations de grande qualité essentiellement à partir du VIIIe siècle avant notre ère ; elles furent abondamment citées par tous les astronomes grecs. Ptolémée, au IIe siècle de notre ère, avait amélioré une partie de ces observations et remarqué un léger décalage avec les prévisions du modèle, ce qui l'a amené à introduire la notion d'équant qui constitue le dernier élément de son modèle.
On a là le nerf de la guerre en astronomie : les observations. Car aussi doué d'imagination que soient les astronomes, ils ne peuvent pas aller contre les mesures et si celles-ci manquent par trop de précision, on ne peut y pallier que par plus d'observations ou un progrès technologique. On peut donner quelques exemples médiévaux de telles améliorations. Al-Battani, un savant musulman de la fin du IXe siècle, a passé quarante ans à noter jour après jour la position du Soleil et d'autres astres, afin d'avoir des données en nombre suffisant pour travailler. Il est notamment connu pour avoir calculé la durée d'une année solaire avec une précision qui ne sera pas améliorée avant le XIXe siècle. Entre 1061 et 1080, l'astronome andalou Al-Zarqali réalise un très grand nombre d'observations d'une grande précision, qui lui permettent de prédire des éclipses. Ses observations, légèrement corrigées, seront utilisées encore au XIIIe siècle pour la rédaction des Tables alphonsines qui servaient à prédire toutes sortes d'événements astronomiques.
C'est cette amélioration dans la précision des données d'observation qui a permis aux astronomes arabes de se rendre compte que le modèle de Ptolémée n'était pas idéal : dans les derniers siècles du Moyen-Âge, la communauté scientifique arabo-musulmane était persuadée que le modèle ptolémaïque était dépassé mais peinait à trouver un modèle vraiment satisfaisant pour le remplacer. On estime désormais que l'absence de lunette astronomique a été le principal frein à ce changement de modèle. Ainsi, au XIVe siècle, Ibn al-Shatir complète les travaux antérieurs d'Al-Tusi, lequel vivait au XIIIe siècle, et parvient pour la première fois à proposer un modèle dont la concordance avec les observations est supérieure à celle du modèle de Ptolémée, notamment en supprimant les équants et autres « joujoux » ad hoc de ce modèle : ce nouveau modèle ne permet cependant que de mieux prévoir la taille apparente de la Lune et du Soleil. Malgré tout, il a fortement influencé Copernic : on estime désormais, en raison notamment d'erreurs communes inexplicables autrement, que Copernic a directement copié une bonne partie des travaux d'Ibn al-Shatir, sans toujours les comprendre et sans citer sa source.

Plus tard, la qualité et la précision des observations reste un nœud de l'avancée théorique. Nombre de grands noms de l'astronomie européenne de l'Époque moderne sont par ailleurs inventeurs d'instruments d'observation révolutionnaires pour l'époque. Pour ne citer qu'eux, Tycho Brahe a inventé une douzaine d'instruments différents, Galilée est à l'origine de la lunette d'astronomie et Isaac Newton a inventé le télescope à miroir concave pour corriger un défaut dans le rendu des couleurs des télescopes préexistants.
Et même à ces époques tardives où les savants avaient une compréhension bien meilleure du fonctionnement de l'Univers, ils n'étaient pas à l'abri d'erreurs grossières quand la qualité des observations faisait défaut. Je ne donnerai qu'un seul exemple : une comète particulièrement brillante est observée en Europe en 1556 et l'astronome Paul Fabricius fait des relevés précis de son trajet. Cependant, ses collègues postérieurs travailleront pendant des siècles sur de mauvaises copies d'une carte de ce trajet et non sur les données brutes, ce qui les amène à penser que la comète de 1556 est un retour de celle de 1264. En plein XIXe siècle, l'astronome anglais John Russell Hind confirme des travaux antérieurs affirmant cette identité et prédit le retour de la comète pour les environs de 1848‑1850… ce qui n'arriva jamais. C'est seulement il y a quelques décennies que les originaux de Paul Fabricius ont été retrouvés et ont permis de montrer que ces deux comètes ne pouvaient pas être identiques.
Il faut donc toujours garder à l'esprit que les modèles astronomiques en vigueur au Moyen-Âge et à l'Époque moderne étaient globalement les meilleurs possibles avec les outils d'observation de l'époque.
Dans « progrès », il y a « progressif »
Vous savez peut-être qu'Albert Einstein était un farouche opposant de la mécanique quantique : ses travaux ont largement contribué au développement de cette discipline, mais lui-même n'acceptait pas ce qu'elle mettait en lumière, en particulier le principe d'incertitude (« Dieu ne joue pas aux dés », Einstein à Nils Bohr, 1927), et il a consacré plus de trente ans de sa vie à essayer de démontrer que ce modèle était faux. Malgré toute la brillance de son esprit, la mécanique quantique a été découverte en dépit d'Einstein, parce que cela heurtait certaines de ses convictions profondes.
Cela m'amène à la troisième cause d'une stagnation apparente du savoir au Moyen-Âge : même avec les intellectuels les plus brillants qui soient et des moyens plantureux à disposition, il n'est pas possible de renverser toutes les conceptions erronées d'un seul coup. À toute époque, il y a chez les scientifiques des blocages dont on se rend compte a posteriori qu'ils ont été des freins à l'avancée de la connaissance : peut-être nos descendants nous considéreront-ils comme des abrutis superstitieux en raison de l'interdit presque mystique qui pèse sur les recherches concernant le clonage, en particulier humain. Dans la période qui nous intéresse, on peut en relever trois principaux.
En premier lieu, le paradigme universitaire. De nos jours, pour qu'un travail de recherche apportant des idées nouvelles soit jugé recevable, on s'attache à vérifier qu'il s'appuie sur des travaux antérieurs communément admis, et que les faits nouveaux apportés et le raisonnement général suivent une démarche méthodologiquement acceptable : le fait que l'auteur apporte de son propre chef une vision différente de ce qui se faisait avant va de soi, il est après tout l'auteur de cette conception nouvelle. Dans l'Antiquité, il en allait tout autrement : un travail de recherche scientifique devait absolument être, au moins en apparence, la reprise d'une conception déjà présentée par un auteur ancien et vénérable, à laquelle ne sont faites que des modifications d'ordre cosmétique, que l'auteur ancien et vénérable aurait bien évidemment faites si seulement il avait eu tel fait entre les mains. On appelle cela le respect de l'auctoritas et, bien que de notre point de vue il s'agisse d'une procédure extrêmement limitante, un travail de recherche médiéval aurait eu beaucoup de mal à obtenir l'approbation de ses pairs s'il ne s'était plié à ce formalisme (cela reste vrai dans la recherche contemporaine, quoique sous une forme différente). Cette conception est restée en vigueur tout au long du Moyen-Âge.
En outre, le monde universitaire de la fin du Moyen-Âge est empesé plus encore par l'omniprésence de la doctrine scolastique. Par contre, je vais pas vous détailler en quoi elle consiste, ça me prendrait un article de plus. Allez hop, direction Wikipédia ! Celle-ci n'est pas mauvaise en soi : elle est à l'origine de l'idée présentée par Thomas d'Aquin que la science ne saurait être un danger pour la religion, et que faire avancer la science contribue à se rapprocher de Dieu, et du principe du rasoir d'Occam ou principe de parcimonie. Là aussi, Wikipédia est votre amie. Mais étant fondée sur un commentaire attentif et très détaillé des auctoritates (une auctoritas, des auctoritates, relisez le paragraphe précédent), elle pouvait assez vite se perdre à couper les cheveux en quatre. En outre, le dialogue intellectuel passait nécessairement par l'exercice de la disputatio, une forme de débat extrêmement codifiée, qui ne laissait pas une marge de manœuvre aussi large qu'on aurait pu le souhaiter à l'expression d'idées hors cadre.

Copernic encore, qui publie ses œuvres dans la première moitié du XVIe siècle, est profondément ancré dans ce mode de pensée. Son œuvre majeure, le De revolutionibus, qui présente son système héliocentriste, fait largement appel aux penseurs antiques pour se justifier : la démonstration de la validité de son modèle est recevable parce que les bases du modèle lui-même ont déjà été énoncées par Aristarque de Samos au IIIe siècle avant notre ère. Il avait déjà exposé les grandes lignes de sa théorie dans le Commentariolus publié trente ans plus tôt, mais celui-ci ne contenait aucune forme de démonstration qui pût être considérée comme valide à l'époque.
Ce modèle de pensée va changer progressivement au cours du XVIe siècle, et le grand précurseur de notre vision des choses n'est autre que Tycho Brahe. En effet, celui-ci a défendu toute sa vie l'idée que les faits avaient plus de valeur que les références scientifiques et que, s'il n'est pas possible de se passer entièrement de ces dernières, elles ne doivent pas être un obstacle à l'acceptation d'un modèle qui concorde mieux avec les faits. Cette vision assez extrémiste lui vaudra de refuser l'héliocentrisme et mettra du temps à être pleinement admise.
En deuxième lieu, l'omniprésence de la religion a constitué lui aussi un obstacle à l'avancement optimal de la connaissance. Attention ! Je ne parle pas de l'Église, à laquelle je consacrerai toute la section suivante, mais bien du fait que le divin était tellement ancré dans les mentalités qu'aucun scientifique, quelles que soient ses positions dogmatiques personnelles, n'était capable d'en faire abstraction. Je parle du fait que l'étude de Dieu et du divin était considérée comme une science sérieuse et que ses résultats étaient pris en compte dans les travaux d'autres sciences, de la même manière qu'il n'apparaît pas aberrant à l'heure actuelle de s'appuyer sur des travaux de sociologie dans un article d'histoire.
En particulier, les gens de cette époque, comme encore beaucoup de monde de nos jours, ressentaient le besoin impérieux de trouver non seulement une cause première aux phénomènes naturels, mais également une cause finale : c'est-à-dire d'expliquer non seulement en raison de quoi les choses se produisent, mais également dans quel but. Un exemple criant est celui de Newton, un homme extrêmement religieux. Bien qu'ayant expliqué avec une rigueur scientifique admirable le fonctionnement de la gravitation universelle, il restait persuadé que ces lois physiques étaient la preuve de l'existence de Dieu, ayant notamment affirmé que « l'admirable uniformité du système planétaire force à y reconnaître les effets d'un choix ». Sa croyance dans l'idée que le fonctionnement de la nature était le produit de la volonté d'un principe supérieur allait jusqu'à prétendre que ces lois ne sont valables qu'au moment de leur observation, le principe supérieur ayant loisir de les changer à tout moment, et que l'entropie observée serait nécessairement inversée un jour ou l'autre, car laisser le monde dissiper peu à peu son énergie et s'arrêter serait contraire à l'objectif d'une création durable.
On trouve aussi un fort sentiment religieux chez Johannes Kepler : son adhésion à l'héliocentrisme a été facilitée par le fait que cette représentation du monde était plus conforme à sa vision d'un monde qui reflétait la nature de Dieu. Cette idée que la création est un message divin à l'attention des hommes a sous-tendu toutes ses recherches scientifiques et se trouve sous une forme exacerbée dans une de ses œuvres de jeunesse, le Mysterium Cosmographicum. Il y énonce la théorie selon laquelle il est possible d'intercaler les cinq solides de Platon entre les sphères orbitales des planètes connues alors, et qu'il existe des rapports mathématiques précis entre les distances des planètes les unes aux autres : ces régularités mathématiques seraient le reflet de la création divine. Il pensait en outre qu'il existait aussi un lien entre la distance des planètes entre elles et leur vitesse de révolution autour du Soleil, toujours dans cette optique d'exégèse de la création, ce qui a fini par le mener à sa troisième loi.
En troisième lieu, on observe pendant très longtemps un mélange des genres entre l'astronomie et l'astrologie. En effet, jusqu'à une période assez récente, il n'existe pas de distinction claire entre les deux : à partir du moment où les scientifiques sont largement convaincus que l'organisation et les lois de l'Univers sont le produit d'une volonté souveraine, alors l'observation de cette organisation et en particulier de ses aberrations est un moyen valide de décrypter cette volonté même. C'est une conception que l'on rencontre à tous les étages de la société et quel que soit le niveau d'érudition. Johannes Kepler, par exemple, se faisait le chantre d'une astrologie érudite, fondée sur des principes scientifiques et des lois régulières, et fustigeait les amateurs qui pratiquaient une astrologie populaire, dénuée de tout cela.
L'astrologie était en outre un moyen de subsister pour les astronomes. En effet, le matériel nécessaire aux observations astronomiques coûtait horriblement cher : il n'y avait guère que les rois qui pouvaient se payer la construction d'un observatoire en bonne et due forme, comme l'Uraniborg de Tycho Brahe. Pour justifier de telles dépenses, ainsi que l'entretien à l'année des astronomes chargés de faire tourner ces observatoires, les riches mécènes exigeaient souvent que leurs astronomes-astrologues leur fissent des prédictions sur leur avenir.

Chacun de ces obstacles a été progressivement levé, sans doute remplacé par d'autres. Mais ce qu'il importe de retenir, c'est que les deux derniers ne sont pas l'apanage du Moyen-Âge. En outre, les grands savants de la Renaissance et d'après étaient loin d'être dénués de préjugés mystico-religieux, ce qui a parfois servi à alimenter leur effort d'explication scientifique du monde.
Une méconception courante : l'obscurantisme de l'Église
La culture populaire véhicule encore largement l'image d'une Église médiévale profondément obscurantiste, opposée à toute forme de progrès scientifique qui viendrait contredire une interprétation littérale de la Bible, et de son chien de garde l'Inquisition. C'est un mythe, et il m'appartient de le combattre farouchement. Loin de moi l'idée de prétendre qu'il n'y a jamais eu d'obscurantiste dans la hiérarchie catholique, ni que l'Église a toujours fait preuve de la plus grande ouverture d'esprit : je veux simplement introduire un peu de gris dans un tableau en noir et blanc.
Si vous vous souvenez de la première partie de cet article, vous savez que le Moyen-Âge a connu une période de plusieurs siècles pendant laquelle l'Église et en particulier les scriptoria monastiques étaient les seuls à se soucier de la transmission de la culture antique. La culture antique païenne. Les islamistes nous ont assez démontré que les fanatiques religieux n'ont aucun scrupule à détruire définitivement les traces même artistiques des autre religions : l'Église médiévale n'a rien fait de tel. Les textes littéraires grecs et romains étaient profondément ancrés dans le paganisme, mais les intellectuels chrétiens se sont toujours attachés à ce que ces textes soient copiés et transmis à la postérité, parce qu'au-delà de l'aspect religieux, ces textes valaient la peine d'être conservés pour leur intérêt purement esthétique. On a plusieurs exemples de grands ecclésiastiques du haut Moyen-Âge qui clament leur amour de Virgile ou même d'Ovide, l'auteur des Métamorphoses, un de plus gros recueils de mythologie gréco-romaine.
En outre, l'Université médiévale et d'Ancien Régime était chrétienne. Plus que chrétienne, elle est un organe de l'Église : les universités sont généralement sous la protection pontificale (ou de grands princes protestants après la Réforme) et les étudiants sont tous automatiquement ecclésiastiques, ce qui leur assure des bourses d'étude. En France, quand un ouvrage doit être interdit par les instances religieuses, c'est à l'Université de Paris que l'on demande son avis. Enfin, le diplôme le plus réputé en Europe est le doctorat en théologie. Tout cela pour dire que les disputes académiques, les grandes percées scientifiques et tutti quanti sont presque systématiquement le fait de religieux, souvent financés par l'Église elle-même.
Pourtant, une image tenace d'obscurantisme est associée au refus du modèle héliocentrique de Copernic et à la condamnation de Galilée par la suite. C'est que la situation est loin d'être simple.

Commençons par Copernic. Avant toute chose, il apparaît important de rappeler que Copernic était un chanoine, c'est-à-dire un ecclésiastique, soumis à une autorité. Laquelle autorité était parfaitement bienveillante, dans la mesure où c'est avec son aval qu'il a quitté son point d'attache en Pologne pour aller étudier de nombreuses années en Italie : un délai supplémentaire lui a même été accordé pour pousser plus loin ces études. Lorsqu'au début des années 1510, il publie le Commentariolus, un résumé de l'ensemble de son modèle héliocentrique, celui-ci est largement diffusé dans le milieu universitaire et donc ecclésiastique, et suscite un grand intérêt : ses travaux postérieurs seront suivis avec beaucoup d'attention bienveillante. S'il a attendu jusqu'à sa mort pour publier la version complète de son modèle, ce n'est pas comme on le dit souvent par crainte de la persécution de l'Église (il en a envoyé un exemplaire dédicacé au Pape !) mais parce qu'il avait conscience des difficultés que représentait la démonstration de sa position, et qu'il voulait y apporter le plus grand soin.
En effet, à l'époque de Copernic, l'hypothèse héliocentrique n'est pas une nouveauté, loin s'en faut. Outre les auteurs antiques déjà mentionnés, Jean Scot Érigène défendait au IXe siècle une position proche, et elle a été abondamment discutée pendant des générations aux XIVe et XVe siècles. La position dominante, et donc officielle à l'époque de Copernic, est celle dite de l'équivalence des hypothèses. On peut la résumer par cette phrase de 1377 de Nicole Oresme : « tous regards, toutes conjonctions, toutes oppositions, constellations et influences du ciel demeurent inchangées quand on suppose que le mouvement du ciel n’est qu’apparent et celui de la terre véritable ». L'idée directrice, et parfaitement vraie avec les moyens d'observation de l'époque, c'est qu'il est impossible de déterminer quel modèle est le bon, puisque les deux produisent exactement les mêmes résultats pour un observateur à la surface de la Terre. Déjà au XIIIe siècle, Thomas d'Aquin affirmait « En astronomie, on pose l’hypothèse des épicycles et des excentriques, parce que, cette hypothèse faite, les apparences sensibles des mouvements célestes peuvent être sauvegardées ; mais ce n’est pas une raison suffisamment probante, car elles pourraient être sauvegardées par une autre hypothèse ». En résumé, l'hypothèse héliocentrique n'est pas rejetée, on considère seulement qu'en attendant une démonstration par l'observation de sa validité, il vaut mieux s'en tenir au modèle géocentrique.
C'est pour cette raison que Tycho Brahe était un farouche opposant de l'héliocentrisme. Souvenez-vous, il n'acceptait que les observations comme source valable. Or, si la Terre tournait autour du Soleil, il devrait y avoir une parallaxe stellaire sur six mois, ce qui était en contradiction avec toutes ses observations. Il faudra attendre les années 1830 pour que des instruments suffisamment précis permettent d'observer cette parallaxe, ce qui montre encore une fois que, avec les données de l'époque, le raisonnement de Brahe était juste. Mais le modèle de Ptolémée n'étant plus totalement satisfaisant, Tycho Brahe a ressorti des placards le modèle géo-héliocentrique d'Héraclide du Pont, qui veut que le système solaire tourne autour du Soleil, lequel tourne autour de la Terre. Ce modèle étant, lui, plus conforme aux observations que le modèle de Ptolémée, il fut rapidement adopté par l'Église comme modèle à enseigner dans les universités, preuve supplémentaire qu'elle n'avait rien contre le progrès scientifique.

Mais venons-en à présent à Galilée. Pour bien comprendre son histoire, il faut avoir un aperçu du caractère du personnage, et il était assez détestable. En effet, Galilée était très arrogant, n'hésitant pas à traiter ses adversaires intellectuels de singes sans cervelle, et il profitait pleinement de ses protecteurs très puissants (le grand-duc de Toscane, puis le pape Urbain VIII en personne) et du succès populaire de ses ouvrages pour s'en donner à cœur joie dans les polémiques. On notera en particulier son Discours sur les comètes de 1619, qui est plus un pamphlet d'insultes contre divers jésuites qu'un véritable ouvrage de science. Car son deuxième défaut est qu'il avait une conception assez aléatoire de la nécessité de prouver ses dires. Son ouvrage sur les comètes, par exemple, est un ramassis d'âneries indigne du savoir de son époque sur le sujet.
Et c'est ainsi qu'on en arrive à l'Affaire Galilée, avec un grand A : la mise à l'Index des ouvrages héliocentristes. Avant toute chose, je rappelle que l'Église voyait à l'époque d'un bon œil les recherches sur le modèle de Copernic : Galilée n'était donc absolument pas inquiété pour ses travaux. À partir de 1609, à l'aide de la lunette astronomique qu'il a développée, il accumule les observations d'une précision jusqu'alors inégalée et s'en sert comme arguments pour la validité du modèle héliocentrique. En 1611, il est reçu au Collège pontifical et à l'Académie des Lyncéens, à Rome, où ses découvertes sont acclamées : peu après, l'exactitude de ses observations est confirmée par les Jésuites, qui se gardent cependant bien de s'avancer sur les conclusions qu'il en tire. Naturellement, la riposte académique des partisans du géocentrisme s'organise, et le bon droit effarouché des uns couplé à l'arrogance bornée de l'autre transforment rapidement une querelle idéologique en véritable guerre académique.
La Papauté se décide à intervenir et, en 1616, elle exige de Galilée qu'il apporte des preuves concrètes que l'équivalence des hypothèses ne tient plus et que le modèle héliocentrique est réellement supérieur au modèle de Tycho Brahe. Galilée rédige en urgence le Discorso del Flusso e Reflusso où il étudie le phénomène des marées et s'efforce de le lier à la rotation de la Terre. Seulement, ses explications sont incomplètes et ne permettent d'expliquer qu'une seule des deux marées. N'ayant pu démontrer sa position, Galilée se voit demander par la Papauté de calmer le jeu et pour ce faire, les ouvrages de Copernic sont mis à l'Index : la théorie héliocentrique ne doit plus être présentée comme une vérité absolue mais comme une hypothèse de travail.
Les années qui suivent sont relativement calmes pour Galilée, malgré un certain nombre de mesquineries d'un côté et de l'autre. En 1623, le Pape, qui je le rappelle est un grand ami de Galilée, lui demande de rédiger un ouvrage de synthèse qui montrera les avantages et inconvénients des deux modèles : Galilée y travaille une décennie, et c'est en 1632 que paraît le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Mais Galilée a joué un très mauvais tour à son ami. Non seulement il publie un ouvrage à charge qui défend farouchement la position héliocentriste, en lieu et place de l'étude neutre qui lui a été commandée, mais en plus, il obtient l'imprimatur, c'est-à-dire l'approbation officielle de l'Église, en arnaquant le responsable : il ne lui a montré que l'introduction et la conclusion, dans lesquelles il ne donne aucun indice du contenu réel de l'œuvre.
La réaction de la Papauté est immédiate, et Galilée est lourdement condamné. Non pas pour ses positions, mais pour avoir trahi la confiance du Pape, constitué un faux et rompu le contrat de commande en livrant un ouvrage très différent de ce qui était attendu. C'est ainsi qu'il fut assigné à résidence en 1633, où il pouvait néanmoins encore recevoir ses disciples et tenir des rencontres. Alors oui, Galilée a fini sa vie dans une presque prison, mais il faut bien reconnaître qu'il avait joué au con.
À l'époque, sa position extrémiste était indéfendable. Il faut attendre 1728 pour que l'anglais James Bradley, par son observation de l'aberration de la lumière, apporte les premières preuves tangibles de la rotation de la terre autour du Soleil. D'ailleurs, suite à cette découverte, les œuvres complètes de Galilée sont autorisées en 1741, et en 1757 c'est l'ensemble des œuvres héliocentristes qui sont retirées de l'Index. Là encore, il apparaît nettement que l'Église n'avait rien d'obscurantiste. Comme j'en ai déjà parlé dans la première section, ce sont les positivistes du XIXe siècle qui ont construit cette légende noire, et ont fait de Galilée un martyr de la cause scientifique.
Le mot de la fin
J'espère que cet exposé vous aura aidé à vous rendre compte que nos ancêtres étaient loin d'être des imbéciles et que, plus que jamais, comme le disait Bernard de Chartres au XIIe siècle, nous sommes assis sur les épaules de géants.
Commentaires
Merci, c'est très éclairant ! Voilà je trouvais ça dommage qu'il y ait pas de commentaire.
Très intéressant. Mais serait-il possible d'avoir des sources, s'il vous plaît ?